Quand le reportage se noie dans la blague

Kobane Calling, Voilà un livre qui m’a été recommandé par un libraire voisin qui me l’a pratiquement mis de force dans les mains, en mode « si tu l’aimes pas je te le reprends ». J’ai mis trois ans à le lire, en confinement, et ça m’a pris même un peu au delà du confinement. Je me demande si son offre tient toujours...


Entendons-nous : l’histoire est assez dingue.


l’auteur, Zerocalcare, dessinateur italien blogueur ultra-populaire en Italie (et dont j’ai découvert qu’il parlait hyper bien le français) part plusieurs fois à Kobane, ville du nord de la Syrie, dans la région d’Alep, où s’est instaurée une zone de résistance contre Daech-Isis et une sorte d’anarchie-égalitariste, où les femmes soldats sont un élément fort des troupes, des cadres et des formateurs militaires, majoritairement d’origine kurde.


Une sorte d’utopie en guerre, entre le marteau (Daech) et l’enclume (le régime Turc) qui résiste, encore et toujours contre l’envahisseur. Au départ petit village de gaulois syrien, il attire autant d’idéaliste que les barbus d’en face attirent de paumés en quête d’une mission divine. Le dessinateur part là-bas, en 2014, avec quelques amis pour voir, par curiosité et fascination, et pour rendre témoignage en bd de ce qu’il voit.


Il y retournera en 2015, cette fois dans une zone libérée par les forces indépendantes kurdes de l’YPG, réalisant plusieurs portraits de résistant (et surtout de résistantes) tout en faisant toucher du doigt la réalité d’un peuple en guerre depuis plus de 40 ans, les kurdes, persécutée par la Turquie qui joue sur les deux tableaux, tantôt contre Daech, tantôt contre les kurdes.


Bref : c’est riche, très riche d’information et de vécu, d’une situation bouleversante et dure, mâtinée d’un idéal d’égalité et d’indépendance qu’on semble avoir perdu chez nous où il s’est réduit à des mots plus qu’à de véritables combats.


Le dessin de l’auteur sait tout raconter et, pour faire passer la pilule parfois amère d’une situation meurtrière, il n’hésite pas pas à y glisser l’humour référencé et décalé qui est sa marque de fabrique.


Et c’est là, que, chez moi, ça a bloqué.


Impossible d’avancer dans l’action sans se prendre six ou sept saillies drolatiques, références romaines, inside joke et autre clin d’œil culturel hors propos, qui doit ravir le lecteur en mal de fun, mais qui, à mon sens, nuisent totalement au récit. Cette dédramatisation constante a eu chez moi l’effet inverse : ça a vidé mon intérêt pour le propos sachant qu’il serait poncuté toutes les deux cases d’une référence lolilol à la grand mère de l’auteur, à son équipe de foot favorite ou à l’argot de sa ville.


Tout est mis au même niveau et les moments forts en sont complètement vidés de sens... Je me suis accroché comme un fou pour lire tout, parce qu’il y a derrière des gens et une authentique aventure, mais le côté bavard de la narration m’a rendu l’exercice ultra-pénible. L’aspect pédagogique en souffre parce que la litanie constante d’information rend (en tous cas chez moi) difficile de retenir l’important, noyé qu’il est dans l’anecdotique.


La typo choisie pour remplacer le lettrage de l’auteur (je suis allé vérifier sur son blog, c’est bien du lettrage manuel) ne fait pas trop de bien non plus : pour rentrer dans les pages, elle est réduite et change de taille à tout moment (un truc qui me rend dingue, ça me casse tout le temps la lecture).


Bref, je sors de cette lecture complètement dubitatif, ayant eu l’impression de suivre un reportage sur un truc fondamental avec un laurent Baffie en roue libre qui te pourrit toute la lecture à force de ponctuer chaque case d’un bon mot.


Le livre a eu un immense succès en Italie (et en France aussi je crois) et, franchement, compte tenu de l’importance du sujet, c’est tout le mal que je lui souhaite, mais voilà, moi, ça a été un pensum que je suis content d’avoir terminé, mais dont je pense être passé à côté de beaucoup du fond, à force de sauter des cases et des cases de blagues.


Le fond et la forme.

CapitaineNemo
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le 20 mai 2020

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CapitaineNemo

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