... dans une contrée lointaine et imaginaire, une enfant et un « être maudit » qui vont « écrire petit à petit une fable » ne demandant qu'à vous emmener dans une aventure qui rappellera bien des souvenirs aux plus grands...


Ensemble, c'est tout


Sheeva est une petite fille vivant avec le Professeur, une « créature de l'extérieur ». Son apparence est différente des humains et s'il les touche, ils deviendront comme lui. Il a recueilli Sheeva dont la tante doit revenir la chercher un jour prochain. L'œuvre de Nagabe débute alors que les deux personnages vivent ensemble depuis peu de temps.


Ils sont seuls mais ne souffrent pas de cet isolement : leur vie quotidienne est bien occupée et rapidement on réalise que la présence de la petite fille illumine la vie du Professeur... et le pousse à cacher une vérité à Sheeva. Doit-on mentir à quelqu'un pour éviter de lui faire de la peine ? Cette question torture son esprit.


Voilà le premier coup de maître de Nagabe : construire par petites touches, par le dessin autant que par les mots une relation touchante, vraie entre deux êtres différents. Deux êtres qui ne peuvent pas se toucher : il y a toujours une distance physique, une barrière entre eux. Barrière qui n'empêche pas une affection véritable de naître et de se matérialiser.


Promenons-nous dans les bois...


L'univers de l'Enfant et le Maudit est construit dans une opposition entre l'intérieur et l'extérieur. Cette différenciation spatiale – mouvante au gré de la propagation de la malédiction – offre deux visions du monde : celle de l'intérieur où vivent les humains qui veulent endiguer la malédiction (qui s'articule avec la religion) ; celle de l'extérieur où vivent les êtres maudits et Sheeva. Nagabe nous pousse donc à déplacer notre regard en ne partant pas du monde des hommes mais de l'extérieur.


L'intérieur se manifeste alors par quelques-unes de ses activités : lorsque des êtres contaminés sont repérés, ils sont évacués. Ce sont des soldats qui se débarrassent de corps. Si cette activité ne fait pas d'eux l'équivalent des burakumin on voit que des interrogations apparaissent chez l'un d'eux... mais que le mot d'ordre est de ne pas se poser trop de questions. Il faut « protéger le peuple ».


Se trouvent ainsi évoqués des éléments renvoyant à l'organisation de l'espace, au rapport à l'autre, à la différence, aux discriminations (on remarquera que les créatures n'ont aucun nom ou prénom, comme pour mieux instaurer une distance symbolique entre les humains et elles), sans oublier la dimension religieuse... Beaucoup de thèmes actuels...


Noir c'est noir, il n'y a plus d'espoir ?


Graphiquement, le travail de Nagabe se révèle détaillé et minutieux notamment quand on voit le soin apporté à l'intérieur des maisons, aux décors... Les personnages ne sont pas en reste. Par exemple les soldats présentent un certain anonymat : on ne voit que le bas de leur visage, comme pour mieux les dissimuler, masquer leurs actes, ce qu'ils éprouvent... et indiquer que, malgré le blanc de leur vêtement, tout n'est pas immaculé au pays du Dieu de Lumière...


D'où le jeu apporté sur les couleurs, autour de l'opposition entre le noir et le blanc qui ne recoupe pas l'opposition bien/mal. La bête n'est pas forcément là où on le croit... Autre élément à noter, l'impression que le manga est construit autour d'une certaine verticalité : arbres, personnages... ils s'étendent en hauteur donnant ainsi l'impression que l'on voit le monde aux côtés de Sheeva.


L'édition française livrée par Komikku Éditions rend bien le graphisme détaillé de l'auteur ; le volume a ce qu'il faut de souplesse pour pouvoir lire l'ensemble sans difficulté, la traduction ne pose aucun problème. On tient entre les mains un ouvrage qui permet de pleinement apprécier ce qui se dévoile sous nos yeux page après page.


I wish I were on yonder hill


L'Enfant et le Maudit est un manga qui nous berce par son rythme et qui peut plaire à tous les âges, à tous les types de lecteurs. Récit allégorique, pouvant faire l'objet de plusieurs niveaux de lecture comme les lignes précédentes ont essayé de le suggérer, ce premier volume signe les débuts d'une série à suivre. Assurément.


Avis un peu plus long et illustré à retrouver par ici.

Anvil
8
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le 17 mars 2017

Critique lue 837 fois

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Anvil

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