L’habitant de l'infini de Hiroaki SAMURA

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Il aura fallu 19 ans à Hiroaki Samura pour réaliser son œuvre phare l’habitant de l’infini. Partant sur une série courte, à t’il su faire évoluer son histoire correctement sur les trente volumes qui la compose ?


Synopsis :
1770, ère Edo. Lin âgée de seulement quatorze ans assiste au violent assassinat des ses parents par des membres de l'école du Ittô-Ryû. Deux ans plus tard elle s’allie à Manji, un sabreur immortel, afin de d’accomplir sa vengeance.


En détail :
L’habitant de l’infini démarre immédiatement par un prologue narrant le passé de Manji et enchaîne immédiatement sur l’assassinat des parents de Lin. Une fois le postulat de départ passé, le début du récit s’attelle à mettre en place le leitmotiv des deux personnages principaux, Lin cherchant à se venger, et Manji à expier son passé. Manji montrera rapidement ses capacités aux combats et son immortalité face à de nouveaux adversaires. Le manga commence sans temps mort et l'auteur inclure sans attendre de nouveaux protagonistes accompagnés de leurs affrontements. Ces combats restent courts et dynamiques, ils sont travaillés, vivants et sanglants. Le mangaka prend un malin plaisir à découper ses personnages dont Manji, qui est pour rappel, immortel mais pas invulnérable. Ce dernier grâce à son pouvoir peut recoller les morceaux de son corps et se battre à l’infini. Malgré le pitch l’oeuvre ne part pas dans l'extravagance, afin d’afficher un certain réaliste malgré ce côté fantastique. Car le réalisme c’est ce qui frappe en premier dans ce manga, l'histoire se déroulant à l'ère Edo (1770), l’auteur prend un soin particulier à représenter les bâtiments, les décors, les coutumes, et l'ambiance de cette époque. Tout est fait pour immerger le lecteur dans ce Japon d'autrefois. Les décors sont magnifiques et variés, que ce soit dans la ville, la campagne ou dans des châteaux des seigneurs. Les vêtements, kimonos ou autres Yukatas sont travaillés incluant un signe distinctif pour chaque personnage. Samura souhaite rendre son récit crédible en détaillant le maximum d’éléments de cette époque. Il en est de même pour les armes (bien souvent imaginaires) qui sont représentées en fin de volumes avec des explications de l'auteur ou encore les poses et positions des protagonistes. Le ton et l’atmosphère sont adultes de par son thème de départ, son traitement, ou encore sa violence visuelle. De nombreuses scènes sont très chargés en émotions avec des viols, de la torture, et des meurtres à foison. Cette ambiance est accompagnée de bouts de corps parsemés dans le décor, le tout étant sublimé par un dessin maîtrisé et de toute beauté.


Le manga ne se résume pas qu’à une succession de combat ou de scène barbare, loin de là. Le récit évolue rapidement vers une la narration d’une véritable fresque humaine. Samura précise lui-même qu’il n'avait pas prévu initialement d'avoir un long récit et l’oeuvre va rapidement prendre une tournure légèrement différente. Au bout de quelques volumes l'auteur va réellement se lancer dans une narration bien plus ambitieuse. Les protagonistes vont être plus travaillés en expliquant leurs buts et leurs motivations propres. L'auteur souhaite donner à tous ses personnages un passif, une évolution et une conclusion, permettant ainsi de fournir une histoire plus dense qui ne sera pas uniquement centrée sur Lin et Manji. De plus, leurs états d’esprits évoluent au fils du récit, leurs idéaux changent ou encore leur raison d’être sera remise en cause. Même Lin doutera du bien fondé de sa motivation face à son adversaire, qui malgré son acte, avait aussi ses raisons personnelles. Cette évolution est une composante importante qui offre énormément de profondeur aux personnages de la série. Le mangaka continuera sur sa lancé en ajoutant toujours plus de monde, de nouveaux groupes, de nouvelles motivations. À tel point qu'au milieu de la série, une centaine de protagonistes co-existent et lors d’une première lecture, le lecteur se perdra facilement parmi cette immense galerie. Samura décide donc s'éloigner d’une histoire campagnarde et impliquera des personnes influentes politiquement, dépassant la simple vengeance d'une petite fille. L'intrigue se découpera sur cinq parties continues, étalées sur les trente tomes qui composent la série.


Les thèmes abordés sont légion, et certains sont approfondis et récurrents tout au long de la série. Que ce soit sur l'esprit et la place du guerrier dans un pays en paix mais militarisé. Le besoin de vengeance, qui même une fois réalisés, ne permettra pas de retrouver les personnes perdues. La difficulté d’être immortel, de devoir vivre avec ce fardeau et d’attirer en permanence les combattants les plus téméraires. Ou encore la rédemption, regretter ses actes passés, refaire sa vie tout en vivant avec les horreurs que l’on a pu faire. Autant de sujets qui permettent de montrer toute l’humanité et la profondeur des personnages que l’auteur a su habilement mettre en place, le lecteur comprend la motivation de chacun, même quand leurs idéaux s'opposent. L’oeuvre se distingue clairement avec la qualité et la profondeur de chacun d’eux.


Vers la moitié de la série l'auteur voudra rendre son histoire encore plus crédible s'attardant sur l'immortalité de Manji. Il souhaite approfondir ce réaliste souhaitant expliquer scientifiquement le secret de son l’immortalité. L'histoire va connaître une première longueur et quelques défauts de choix dans sa narration. Le récit s'étant allongé sur plus de volume et les motivations de chacun évoluant, lors de la première lecture il est difficile de comprendre le but final du manga. Les héros de départ sont parfois totalement mis de côté pendant plusieurs volumes pour se concentrer sur les nouveaux personnages et leurs histoires. Cela n'est pas un défaut en soi, mais ce changement est mal amené au lecteur. Il en est de même pour la profondeur des messages de certains textes qui se perd tout doucement au profit de combats quasi muets. Ces derniers changent de style, affichant de magnifiques chorégraphies, d’une élégance et d’une beauté rares. Ces confrontations, qui sont intenses, sublimes et épiques, sont un régal oculaire. Mais à vouloir trop en faire, ils s'allongent pour se donner parfois gratuitement en spectacle devenant de plus en plus exubérants, perdant par moments tout crédit. Certains coups ou parades sont irréalistes, certains personnages sont sur-humains sans parler du peu de douleur ressenti par certains combattants. L'auteur ajoute plusieurs scènes facultatives servant juste de prétexte à des nouvelles confrontations, voir à créer des combats en plusieurs parties. C'est fort dommage car l'histoire qui se voulait dense, sérieuse et travaillée se perd par moments dans des rebondissements dignes des meilleurs Shonen, en invoquant l'armée secrète de l'armée secrète, un ennemi qui revient à la vie plusieurs fois ou le rétablissement de Manji de plus en plus rapide. Gonflant ainsi artificiellement l'histoire qui n’en avait clairement pas besoin. Tous ces choix sont étonnants par rapport au début de la série et le désir de l'auteur d'ancrer l'histoire dans un réalisme certain. Précision que tous les points cités au-dessus ne rendent aucunement l'œuvre mauvaise, et bon nombre de lecteur aimeront ce changement mais les plus exigeants remarqueront que 6 à 7 volumes auraient pu être évités.


Heureusement que le tout est contrebalancé par certains moments clés du récit où la seule tension entre les personnages suffit à imposer une ambiance lourde et électrique tel un film de Tarantino. Les protagonistes ont un charisme divin, les mises en scène, les angles de vue, et les entrées des personnages sont par moments tout simplement grandioses. Ils en imposent et donnent une aura encore plus forte au manga. Plus le récit avance, plus les combats atteignent une puissance rare. Autre point positif, l'auteur, bien qu'il intègre des femmes sexy, n'affichera pas de nudité ou ne jouera pas sur le fan service, indiquant lui-même qu'il trouve plus attirante une femme légèrement habillée que nue, point particulièrement appréciable. N’oublions pas de mentionner que l’histoire prend le temps de se terminer correctement, apportant ainsi une conclusion satisfaisante et non convenue aux tribulations de Lin et Manji


Dessin :
S'il y a bien sûr un point qui mettra tout le monde d'accord c'est la beauté du dessin, qui est fulgurant de réalisme et de dynamisme. Bien qu'au début certaines planches peuvent paraître assez brouillonnes manquant parfois de lisibilité, l'auteur monte rapidement de niveau pour offrir des claques visuelles afin d’atteindre des sommets. Peu de mangaka peuvent se vanter d’atteindre un tel niveau de qualité et réalisme. Dessinant tout à la main, et regorgeant de détails sur les objets, les ombres ou autres effets de lumière, chaque case est un travail hallucinant. Tout comme les positions et la posture des personnages ou encore l’intérieur des corps découpés. Mélangeant plusieurs styles visuels que ce soit crayonné, à l'aquarelle, au crayon ou encore à l'encre de Chine, l'auteur s'amuse à tester et varier les rendus, surtout au début de l'œuvre. Chaque ouverture de chapitre propose une illustration magnifique, soit 206 en tout ! Les amateurs d’estampes ou de dessins fait main seront aux anges à admirer la maîtrise du mangaka.


Édition :
Le manga a connu quelques difficultés lors de sa publication en France, au bout de 9 volumes Casterman décide d'arrêter cette version pour la ressortir sous une nouvelle forme plus proche de la version japonaise dans son label Sakka. Cette dernière est dans un grand format (env. 15x21cm) avec jaquette amovible sans page couleur. La publication de la seconde édition s’étale de 2004 à 2015 et de nombreuses rééditions ont été faites incluant toutes les améliorations de l’Édition au fur et à mesure du temps. De ce fait toutes les qualités de papier sont trouvables, allant du papier gris recyclé pour les plus anciens au super papier blanc pour les derniers tomes. Si on se focalise sur les dernières impressions, l’édition est d’excellente facture. Les couvertures originales sont généralement respectées bien que l’éditeur a apporté par moments quelques retouches. Toutefois le dos des mangas aborde un arc-en-ciel franchement pas gracieux, aux couleurs rappelant les vieilles éditions Glénat dans des tons plus foncés. De nombreux bonus sont présents le long des 30 volumes, mais aucun dossier, ou d’interview sur l’auteur, en plus de 20 ans de publication ! c’est fortement regrettable et décevant.
Mais l’éditeur rattrape le tir avec la sortie d’une édition spéciale regroupant les deux premiers volumes qui comprennent des pages couleurs et une interview de l’auteur. Un superbe objet avec une hard cover et un papier de qualité supérieure que l’on peut offrir à quelqu’un qui souhaite découvrir la série. Attention, ce volume est unique, Casterman ne re-édite pas la série dans ce format.


Conclusion :
L'habitant de l'infini sera vous en mettre pleins la vue par son ambiance, son scénario, sa narration, son esthétique ou encore sa mise en scène. Que ce soit par ses magnifiques dessins, ses personnages travaillés ou ses combats intenses et chorégraphiés, le manga à tout pour être une référence et un incontournable. Il est regrettable que l'auteur n'ait pas su parfaitement garder sa ligne directrice et c'est fourvoyer dans quelques petits travers du Shonen pour gonfler artificiellement son récit perdant en partie son réaliste. Toutefois cela serait dommage de passer à côté d'un titre qui à qu'un seul défaut, celui de trop vouloir divertir.

darkjuju
8
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le 4 déc. 2020

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darkjuju

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