Lucky Luke, mort tonitruante du Dark Knight des hautes-plaines

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Finis les gâteaux d’anniversaire d’où sortent des danseuses affriolantes, en 2016, ce sont les auteurs de BD qui s’y collent! À 70 ans, Lucky Luke méritait bien de se tailler la part du lion et voilà qu’une salve d’hommages est annoncée. Et c’est Matthieu Bonhomme qui ouvre le bal au saloon. Sans ombre au tableau et sans lui faire de cadeau. Car (Un)Lucky Luke est mort!


PAN! La détonation a sorti la petite vallée de sa torpeur. L’accalmie après la tempête et la pluie battante peut s’annoncer. Mais sous son soleil, souillé de boue, un homme n’en profitera pas. Cet homme, attendez, ce n’est pas un inconnu! Foulard rouge, chapeau blanc, chemise jaune et veston noir, des habits éternels pour un sommeil qui risque de l’être tout autant. Lucky Luke est mort, messieurs, dames. Mais comment a-t-on pu en arriver là?


En une planche, Matthieu Bonhomme place le lecteur à côté du fait accompli: le héros est mort ce soir (ou plutôt, ce midi) et le suspense est intense. Alors, nous voilà plongés sous la pluie drue de Froggy Town, sympathique petite ville de mineurs où les grenouilles pullulent et où les armes sont confisquées dès l’entrée. Lucky Luke, sur sa fidèle monture, n’y dérogera pas. Et s’il ne compte passer qu’une nuit dans ce bled dirigé par une fratrie guère recommandable, le cowboy solitaire est bien vite rattrapé par le hold up odieux perpétré par un indien, quelques jours plus tôt. Un mystère qui ne résistera pas longtemps à la sagacité du héros. Mais sait-il qu’il le mènera à sa perte?


Lucky Luke a 70 ans et c’est une star. S’il le sait, il ne ne prétend pas tant que ça à ce statut. Mais c’est sans compter les habitants de Froggy Town qui, sous l’inspiration de Matthieu Bonhomme, font tout pour soigner le héros aux petits oignons. Au son des crapauds et des colts qui lâchent leurs coups, Bonhomme prouve qu’il connaît ses gammes. Et s’il en reproduit, l’auteur n’hésite pas à les gratter, à les dépoussiérer pour livrer un album qui sort des sentiers indiens et balisés (parodiques parfois aussi) tracés par les précédents albums. Et, même s’il chevauche toujours son magnifique Jolly Jumper dans les décors des plus beaux westerns, Lucky Luke a gagné en réalisme et, peut-être, n’a-t-il jamais été aussi contemporain. Comme l’histoire dans laquelle il s’aventure, le cowboy est plus sombre. Tel un Dark Knight des hautes plaines, en adéquation avec la mouvance actuelle autour des super-héros. Avec ses 70 berges au compteur, le héros n’a pourtant plus rien à envier aux héros créés ses dernières années.


Ici, Matthieu Bonhomme évite le manichéisme, et si les méchants le sont en apparence, leur « procès » n’est pas aussi facile. Loin des Dalton bêtes et méchants, il y a dans ce one-shot de vraies histoires humaines derrière la félonie, et Lucky Luke s’en apercevra bien assez tôt. Reste que si « L’homme qui tua Lucky Luke », flirte avec le drame social dans sa conclusion, le ton reste à l’humour. Et il est évident que son auteur s’est inévitablement amusé à apposé sa patte au héros de Morris. Comme dans ce running-gag expliquant pourquoi Lucky Luke ne fume plus, ce clin d’oeil métatextuel sur l’âge du cowboy (qui avoue lui-même ne pas trop savoir depuis quand il arpente les hameaux les plus mal famés que le western ait connu) ou encore le personnage de Doc Wednesday, vraiment succulent dans ses mimiques et attitudes.


Car la plus grande réussite de cet album reste sa flamboyance graphique. Avec cet hommage, Bonhomme signe peut-être son oeuvre la plus aboutie. Du premier « pan! » au « poor lonesome cowboy », tout joue de virtuosité. Les cadrages sont sublimes et la dynamique imposée au récit coupe le souffle. On est à des lieues du Lucky Luke qu’on connaît, totalement relifté et pourtant tellement conforme à sa version originelle. Pour fignoler le tout, la mise en couleur audacieuse de l’album est démente.


Résolument, bien plus qu’un hommage, ce premier one-shot est une éclatante remise au goût du jour de ce septuagénaire encore bien en forme. Implacable et réjouissant, jubilatoire aussi, l’exercice auquel s’est livré Bonhomme est plus que réussi, de ceux qui grandissent les mythes. Bouzard, le prochain dessinateur à se prêter au jeu du one-shot, a la barre haute!

Alexis_Seny
9
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le 1 avr. 2016

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Alexis Seny

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