L’atmosphère est plus sombre, subitement. En dépit des légèretés et des complaisances farcesques que Le Tendre introduit çà et là pour conserver un ton guilleret à la Quête, l’échéance finale n’a de quoi faire rire, ils ne se marièrent pas, ils n’eurent pas beaucoup d’enfants.

Toujours un peu lourd pour nous faire le résumé des chapitres précédents, Le Tendre choisit cette fois l’artifice d’un grand-père qui raconte l’histoire à ses petits-enfants. Qui est ce grand-père à lunettes, vous le comprendrez à la fin.
L’action elle-même reste un long moment sur le lieu où l’on va récupérer l’Oeuf des Ténèbres (le Doigt du Ciel), et le cheminement des héros ne reprend – en accéléré – que vers la fin, style « Tour du Monde en 80 Jours » : il faut tenir les délais, sinon le vilain Ramor va sortir de sa conque.

Mais l’intérêt du scénario, c’est le rassemblement en un tout cohérent des destinées et problématiques diverses des personnages pour aboutir au finale. On n’est plus dans l’errance linéaire classique des quêtes (une épreuve après l’autre, une « marche » après l’autre. A la fin, les comptes seront réglés, et bien réglés. Les bons ne sont pas forcément ceux que l’on aurait pensés au départ, les plus désirables ne sont pas les plus palpables, et la vertu et le courage sont fort mal récompensés.

Afin de réussir cette convergence terminale des destinées, Le Tendre a inventé un curieux démiurge (il en sait plus que les autres sur tout, ce qui est commode pour orienter l’action dans un sens bien précis) : la Gardien du Nid de l’Oiseau du temps, curieux vieillard aveugle à la morphologie enfantine. Lequel Gardien raconte un mythe cosmogonique, fort poétique, sur l’engendrement du cosmos par l’Oiseau du Temps. Kiskill, mythique dans sa virginale nudité, perd de son caractère transcendant en faisant la connaissance rapprochée d’un des aventuriers. Cette intéressante intuition, fort commune en mythologie, qui associe virginité et immortalité, devrait être étudiée avec plus de soin qu’au moyen du coup d’oeil égrillard dont elle fait habituellement l’objet.

L’action tourne à la tragédie, avec la rencontre avec les Jivrains dans un paysage neigeux : les indigènes sont pourris par une fièvre mortelle, et Pélisse révèle pourquoi elle ne peut se passer de son Fourreux. Très bel intérieur onirique du Prince-Sorcier Tharmine, manoir soigneusement charpenté plein de livres autour d’une cheminée centrale, hâvre de connaissance universelle (planche 36).

L’humour qui s’introduit dans les fissures de l’action est globalement assez réussi : un curieux volatile déplumé qui vole en zigzag et qui chie partout (planches 1 et 2, planche 61). Et Fol de Dol vient nous agacer une ultime fois (planches 58-60).

L’érotisme s’enrichit d’un apport nouveau : la gironde Kiskill accueille les aventuriers au sommet du Doigt du Ciel, et ses petits seins pointus attirent l’attention tout autant que son string à franges, pendantes là où il le faut. Pélisse dévoile à peine davantage ses fesses, juste de quoi nous confirmer qu’elle économise radicalement sur le poste de dépenses « sous-vêtements », et nous souhaitons que cet exemple salutaire soit suivi.

Le dessin de Loisel est devenu plus net, plus contrasté, plus construit. Il se risque moins dans de petites vignettes confuses où l’on ne distingue pas grand’ chose. La dimension moyenne des vignettes a augmenté, et le mouvement est toujours bien restitué. La maison du grand-père se fend même d’une jolie cheminée en pierres bien appareillée, et d’une rampe d’escalier, dont les modénatures en spirale évoquent un raffinement en contraste avec la précarité vécue par les héros de la Quête.

L’allégresse de la Quête s’achève sur la note grave des destins à accomplir et des frustrations à assumer. Vous vous êtes bien amusés, lecteurs ? Voilà qui suffit. L’âge adulte vous attend, et c’est une tout autre quête que de parvenir à l’assumer.
khorsabad
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le 22 oct. 2012

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