Jean Yanne ne disait rien des routes nationales dans un de ses plus célèbres sketches. Aurait-il aimé cette balade que nous proposent Sylvain Venayre et Etienne Davodeau, sur les routes de l’histoire de notre nation ? Probablement, car elle va à l’encontre de beaucoup de clichés sur notre histoire, et car son moindre mérite n’est pas d’être impertinente, tout en étant précise et soutenue par des travaux historiques sérieux et à contre-courant de tout un pan d’histoire médiatique (Lorant Deutsch par exemple).


Ce premier tome est déconcertant par son scenario, par le fait qu’il fait se rencontrer des personnages emblématiques de la France à savoir Jeanne d’Arc, Molière, le général Dumas, Jules Michelet, Marie Curie et le Maréchal Pétain, le long d’un tour de France en voiture qui les mènera notamment à Carnac, Calais, Reims, à la frontière avec l’Allemagne, à la Roche de Solutré, à Marseille, Carcassonne ou encore Lascaux. Le « casting » est pertinent malgré son apparence saugrenue, les dialogues sont truculents et les rencontres étonnantes, notamment avec le soldat inconnu qui sort de sa tombe après avoir reconnu la voix du maréchal ! Le road-movie est bien mené, les étapes bien choisies, et si l’album s’autorise une bonne dose d’humour, les auteurs ne perdent jamais de vue leur objectif ; l’écriture est très intelligente et fourmille d’anecdotes intéressantes et utiles, comme celle de l’histoire du nom de la place de la Concorde ou celle du soldat Chauvin.


Sur le plan visuel, c’est magnifique, le travail de Davodeau dépasse de mon point de vue ce qu’il avait réalisé jusque là, croquant joliment les personnages mais aussi les multiples paysages de la France, ruraux comme urbains, c’est de toute beauté !


On pourrait regretter que les auteurs n’aient pas plus exploité les personnages qu’ils mettent en scène car on airait aimé les voir ou les entendre davantage, mais il faut aussi leur savoir gré d’avoir construit un récit répondant parfaitement au cahier des charges : réaliser un album introduisant la série et qui mette en avant les enjeux et difficultés de produire une histoire de France, tout en appliquant un précepte de Michelet : « l’histoire, qui est le juge du monde, a pour premier devoir de perdre le respect ».


L’album, notamment à travers le propos prêté à Jules Michelet, puis dans les apports de Sylvain Venayre , explique en effet la démarche de la collection à venir, résumés dans la présentation des Editions La découverte et de La revue dessinée :



En ces temps troublés, l’histoire de notre pays fait l’objet de
fantasmes passéistes et de récupérations politiques. Très loin de ces
tentatives de réhabilitation du « roman national », l’Histoire
dessinée de la France présente un nouveau visage de notre histoire ,
en associant les meilleurs historiens français aux plus talentueux
auteurs de bande dessinée.



Réalisé par un tandem historien-dessinateur, chaque volume présente
une époque de l’histoire de france, à jour des connaissances et des
débats historiographiques actuels, à rebours des légendes nationales
comme des histoires d’Epinal.



Ce volume introductif, par le biais d’un scenario audacieux ne manquant pas d’originalité, aborde de nombreuses questions importantes en ce qui concerne l’Histoire : elle montre le rapport confus des Français à leur histoire et cherche à les aider à mieux la comprendre. Une histoire instrumentalisée par certains et à qui on fait dire beaucoup de bêtises, par exemple sur les mouvements migratoires, le néolithique ou le baptême de Clovis.


La bande dessinée et les apports documentaires qui la suivent mettent en effet l’accent sur l’utilisation politique de l’histoire. L’album montre aussi qu’on ne peut faire une histoire de France déconnectée du reste du monde (migrations, espèces cultivées) ; que l’Histoire, ce n’est pas que celle des rois et des grands hommes, qu’il faut aussi faire l’histoire des petites gens, qu’il faut aussi s’intéresser à l’histoire culturelle et pas seulement politique, à l’histoire des sensibilités… Dans l’important dossier qui suit la bande dessinée, en plus des biographies des personnages mis en scène, on trouvera des propos éclairants sur les origines de l’humanité et de la France, sur le rôle de la géographie et des images dans la construction de la nation française. J’ai par exemple apprécié les propos concernant la quête des origines, qui est une démarche revenant à essentialiser une nation et finalement à nier le rôle de l’histoire.


Au final, c’est une belle introduction que ce road-movie documenté, une bande dessinée à la fois belle, lucide, intelligente et drôle. « Je ne voyais pas comme ça l’Histoire de France » fait dire Venayre à Marie Curie. C’est exactement ça que nous propose cette collection : une relecture surprenante mais documentée et de grande qualité. Une histoire dessinée de la France plutôt qu’une histoire de la France en bande dessinée.Vivement la suite !

socrate
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Etienne Davodeau et moi

Créée

le 6 mai 2019

Critique lue 251 fois

7 j'aime

socrate

Écrit par

Critique lue 251 fois

7

D'autres avis sur La Balade nationale : Les Origines - Histoire dessinée de la France, tome 1

Du même critique

Ma liberté de penser
socrate
1

Ma liberté de tancer

Cette chanson est honteuse, un vrai scandale : il est absolument inadmissible et indécent de tenir de tels propos quand on gagne plusieurs millions d'euros par an, alors que des tas de gens galèrent...

le 11 avr. 2012

170 j'aime

76

La Ligne rouge
socrate
4

T’es rance, Malick ?

La ligne rouge, je trouve justement que Malick la franchit un peu trop souvent dans ce film, malgré d’incontestables qualités, que j’évoquerai tout d’abord. La mise en scène est formidable, la photo...

le 21 sept. 2013

134 j'aime

78

Ernest et Célestine
socrate
9

A dévorer à pleines dents !

Pour tout dire, je ne savais rien de ce film avant d’aller le voir, je craignais une histoire un peu gnangnan pour bambin à peine sorti du babillage. Bref, j’y allais surtout pour accompagner la...

le 10 janv. 2013

133 j'aime

22