Critique issue de mon blog, 14 février 2011 : http://nebalestuncon.over-blog.com/article-la-brigade-chimerique-l-encyclopedie-le-jeu-l-ecran-de-jeu-et-son-livret-67152216.html


Vous avez probablement entendu parler de La Brigade chimérique, chouette bande-dessinée de Serge Lehman, Fabrice Colin, Gess et Céline Bessonneau nous narrant le (triste) sort des super-héros européens de l’entre-deux-guerres. Je ne sais pas si ce « comic-book français » a connu le succès commercial (je maintiens qu’il y avait un fâcheux problème de format et de coût), mais son succès d’estime, au moins, ne saurait faire de doute. En témoigne assurément ce dont je vais vous causer aujourd’hui.


En effet, d’aucuns se sont tellement pris de passion pour cet univers et ces personnages qu’ils ont décidé d’en faire un jeu de rôle (d’aucuns, en l’occurrence, ce sont, sous la direction de Romain d’Huissier, Willy Favre, Laurent Devernay, Julien Heylbroeck et Stéphane Treille). Et on les comprend, car La Brigade chimérique fournit un cadre à la fois assez cohérent et assez souple pour créer de nouvelles aventures hautes en couleurs, riches de personnages plus fascinants les uns que les autres, empruntés au roman scientifique de la première moitié du XXe siècle ou inspirés de son esprit. D’où ce projet, peut-être un peu dingue là encore sur le plan commercial – je ne sais pas du tout si le jeu édité par Sans-Détour a rencontré son public, et du coup (ce qui m’inquiète davantage) s’il y aura une gamme conséquente par la suite –, mais pour le moins séduisant.


Et d’autant plus séduisant qu’il s’est agi – là encore, pari risqué de la part des auteurs, mais pourquoi pas après tout – de séduire deux publics, qui peuvent certes se rencontrer, le font sans doute assez souvent, mais ne se recoupent pas nécessairement : d’une part les rôlistes, et d’autre part les lecteurs de la BD, et plus généralement sans doute de SF et de comics. D’où la forme un peu (mais juste un peu) particulière adoptée par le « livre de base » de ce jeu de rôle, qui justifie son double titre : L’Encyclopédie – le jeu. Il s’agit en effet dans un premier temps de détailler et, par bien des aspects, enrichir encore – avec l’aval des auteurs, il est important de le souligner – l’univers de la bande-dessinée, et dans un second temps seulement de fournir aux lecteurs qui le souhaitent les règles leur permettant d’incarner à leur tour des surhommes de l’ère du radium, les deux parties étant de taille approximativement comparable (l'encyclopédie déborde un peu). Le tout, précision qui s’impose, constituant un très bel ouvrage de 250 pages abondamment illustré (par Gess et Willy Favre), et en couleurs s’il vous plait.


Commençons donc par envisager l’encyclopédie chimérique. Celle-ci se compose de quatre chapitres de taille très variable. Le premier concerne « l’histoire chimérique » : il s’agit tout simplement d’une chronologie, commençant vaguement en 1850 pour s’achever avec la BD en 1939, notant les faits significatifs de l’ère du radium, qu’ils aient été décrits dans la BD (qui se voit ainsi résumée et synthétisée) ou pas. J’avoue n’avoir guère été convaincu par cette partie, qui m’a paru un peu trop lapidaire pour convaincre… Il en va de même du « traité de géopolitique superscientifique » qui suit, là encore assez bref, et qui, en prolongement direct du chapitre précédent, confronte l’Histoire avec la bande-dessinée. Disons que l’on n’y apprend finalement pas encore grand-chose, dès l’instant que l’on a lu la BD et que l’on a quelques notions d’histoire. Ces deux chapitres me paraissent donc clairement destinés à ceux qui n’ont pas lu la BD – des rôlistes, supposera-t-on –, mais j’avoue être sceptique quant à l’existence d’un public désireux de se lancer dans cette aventure sans avoir lu auparavant La Brigade chimérique


Le troisième chapitre est déjà bien plus intéressant : « Hypermonde et superscience » sont en effet des notions essentielles de la bande-dessinée, mais pas forcément limpides pour autant. Cette mise à plat se révèle salutaire, et permet une meilleure compréhension des événements décrits dans la BD (notamment de sa conclusion). Et, déjà, commencent à fourmiller, au fil des pages, quelques idées de scénarios inspirés par ces deux notions…


Mais le plus gros de l’encyclopédie – et, heureusement, le plus convaincant, et même tout à fait passionnant – réside dans le chapitre 4, « les cités européennes », d’environ 80 pages à lui seul. En décrivant le monde de La Brigade chimérique, les auteurs mitraillent ici le meneur de jeu potentiel d’idées de scénarios : chaque page fournit au moins une piste, généralement davantage. Et, à la lecture, c’est un régal (du moins pour ceux qui, comme moi, aiment les descriptions d’univers, bien sûr…). Le plus gros de ce chapitre est consacré à Paris, abondamment détaillé, presque arrondissement par arrondissement, sous sa face lumineuse comme sous sa face cachée (descriptions et caractéristiques des surhommes parisiens sont également à l’affiche, ce qui introduit en douceur les premiers points « techniques » de ce livre). Suivent des développements plus brefs concernant Londres, Berlin et Metropolis, Rome, l’Espagne, Moscou, et quelques autres encore. La BD se trouve ici considérablement enrichie et précisée, mais les auteurs ont su en respecter l’esprit dans le moindre de leurs apports. Le résultat est plus que satisfaisant et se lit tout seul.


Nous passons ensuite à la deuxième partie, le jeu. Classiquement, nous commençons par « créer un surhomme ». Rien de très original dans ce premier chapitre, mais le système de création de personnage est à vue de nez assez simple et en même temps riche de possibilités. Mais celles qui intéressent le plus le joueur, bien évidemment, ce sont les pouvoirs des surhommes, qui se voient consacrer un long chapitre. La présentation est simple et le système astucieux, qui permet de véritablement créer des pouvoirs et non de se contenter de piocher dans une liste préétablie ; à partir de là, tout est possible, et c’est tant mieux. Et étrangement, cette « table de classification des capacités surhumaines du professeur Holweck » n’est même pas vraiment rébarbative à la lecture, comme trop souvent les passages consacrés à ce genre d’attributs dans les livres de jeux de rôle, tant le lecteur jubile d’ores et déjà à concevoir des concepts de personnages multiples et variés.


Suivent « les règles de l’hypermonde ». Le jeu se joue avec des D6 on ne peut plus classiques. Le système de règles repose sur des bases a priori très simples, avec les grands classiques du genre : test simple (attribut + profil, attribut doublé…), test en opposition, test prolongé… Le joueur additionne ses caractéristiques requises au résultat de 3D6 (normalement), et le meneur de jeu compare à la difficulté qu’il avait établie ; la marge de succès ou d’échec influe sur les conséquences du test, marge qui peut être modifiée par un dé spécial appelé « dé chimérique ». Suivent, bien évidemment, les règles consacrées aux combats, qui reposent sur des tests en opposition : à vue de nez, je pense que cela doit donner des batailles dynamiques et enthousiasmantes, où on ne se paume pas pendant 107 ans dans d’innombrables tableaux, sans restreindre pour autant les possibilités de jeu. En somme, un système de jeu souple et efficace, en apparence tout du moins, qui devrait convenir tant aux rôlistes confirmés qu’aux débutants attirés par la BD.


On passera très vite sur le bref chapitre 4, « Arpenter l’univers de la Brigade chimérique », qui se contente classiquement de donner des conseils au MJ pour élaborer ses parties – chapitre qui n’intéressera vraisemblablement, et encore, que les débutants, et qui se contente d’enfoncer des portes ouvertes pour les autres.


Reste enfin un scénario, intitulé « La Dernière Guerre ». En trois épisodes, il s’agit ici semble-t-il de préparer le terrain à une campagne ultérieure (gamme ?). On sent en tout cas que ce scénario est – à la base, mais il est bien évidemment toujours possible de l’adapter – prévu pour des joueurs débutants. Un peu trop à mon goût, pour dire le vrai… Le premier épisode est en effet extrêmement dirigiste, sans qu’il y ait véritablement d’enjeu. Le deuxième épisode repose sur une enquête policière, ce qui devrait en principe autoriser davantage de libertés, mais m’a donné l’impression d’être trop simple. Je n’ai finalement été convaincu – encore qu’il y aurait à redire, mais je ne vais pas rentrer dans les détails – que par le troisième épisode, encore un peu trop dirigiste, mais offrant dans l’ensemble un habile mélange de diplomatie et d’action trépidante pour ne pas dire apocalyptique. Mais il suffit sans doute d’un peu de bonne volonté de la part du MJ et des joueurs pour faire de ce premier scénario une aventure tout à fait palpitante.


En annexes, on trouvera des personnages clés en main pour les joueurs pressés (je n’ai jamais adhéré à cette pratique… On peut par contre y voir des PNJ éventuellement utiles, surtout si le groupe de joueurs est assez restreint), puis une brève « bibliographie des chasseurs de chimères », sélection de romans scientifiques établie par Serge Lehman.


Quelques mots pour finir sur le premier (et pour l’instant le seul – je ne compte pas le matériel téléchargeable ici) supplément de ce jeu de rôle, l’inévitable écran et son livret de jeu. L’écran, illustré par Gess, est un peu terne à mon goût, mais peu importe ; il a pour lui d’être rigide (merci !) et bien élaboré (cinq sections sur trois panneaux : les personnages, les actions, les réserves, les dommages et les soins, les armes et les protections). Il est accompagné d’un livret de 20 pages en couleurs, Héros, super-vilains et chefs d’État, présentant dix nouveaux héros, cinq super-vilains et trois chefs d’État (Archigos le Grec, Jack-o’-Lantern l’Irlandais et Ukko le Finlandais). Personnellement, je crois que j’aurais préféré un scénario ou un cadre de jeu, m’enfin bon… Il y a après tout quelques idées de scénarios qui émergent de ces présentations de personnages (notamment, sans surprise, celles qui concernent les chefs d’État).


Ajoutons pour la bonne bouche que le travail des éditions Sans-Détour est des plus corrects sur ces deux produits : agréables à l’œil, d’une lecture aisée, ils sont dans l’ensemble bien rédigés et peu « coquillés », ce qui est loin d’être toujours le cas…



Bon, j’ai envie de relire la BD et de jouer, moi.

Nébal
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le 22 juin 2016

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