Un justicier masqué, une assassin professionnelle, une ville corrompue et … des Petits Lutins.


La Chemise de la Nuit – premier album de la sous-série Donjon Potron-Minet – constitue selon moi l’une des portes d’entrée idéales pour découvrir Donjon. Le lecteur est immergé dans une atmosphère de capes et d’épées faite de bravoure, d’héroïsme, de panache, de romantisme, d’envolées verbales, de poésie, d’humour, de bagarres à l’épée sur les toits, de cascades, de poursuite à cheval … qui s’avère très prenante. Certes, à cette époque de l’album le Donjon n’existe pas encore, mais le lecteur assistera à sa lente mise en place, et s’attachera à certains personnages qu’il sera surpris de retrouver avec un caractère et/ou un aspect bien différent quand il abordera ensuite la sous-série Donjon Zénith.


On découvre donc dans La Chemise de la Nuit un univers très riche, de type Renaissance, et des personnages immédiatement attachants. Il y a le héros Hyacinthe de Cavallère, jeune blanc-bec idéaliste d’une naïveté désarmante, épris de justice et qui s'évertue à obéir à un code d'honneur ; son père le seigneur Arakou de Cavallère, noble sur le déclin ; son oncle le comte Florotte, vieil infirme rejeté par les siens mais devenu riche et influent dans la cité d’Antipolis, la capitale du pays ; le docteur Hyppolite, savant intègre et incorruptible qui dénote dans une ville où magouilles et corruption sont monnaie courante ; Jean-Michel, brutal et cupide homme de main du comte Florotte qui tente de dévergonder et de corrompre Hyacinthe ; Alexandra, la pulpeuse et ténébreuse créature dont Hyacinthe tombe amoureux mais qui est une assassin sans scrupule ; les Petits Lutins, gentilles créatures vivant cachées de la vue de tous mais dont Hyacinthe voudrait gagner l’amitié ; les Brous, démons caprins brutaux, grossiers mais franchement drôles ; etc.


Les aventures de Hyacinthe de Cavallère font vraiment sourire, autant grâce au caractère candide du personnage qui tranche totalement avec l’univers urbain, sale et corrompu d’Antipolis, que parce que notre héros est embarqué dans des péripéties qui le dépassent. Les passages les plus comiques de l’album sont pour moi toutes les scènes où Hyacinthe hésite à obéir à Jean-Michel, dont il est placé pourtant sous la responsabilité. Voir ce salaud de Jean-Michel tenter de corrompre Hyacinthe et voir ce dernier tirer la gueule car obligé de lui obéir est particulièrement rigolo. Et si on ajoute que le travestissement de Hyacinthe en justicier nocturne masqué – la fameuse Chemise de la Nuit – apporte un petit côté Zorro ou Batman très amusant à cet univers, on ne peut qu’être conquis, malgré quelques mièvreries par-ci par-là dues au tempérament extrêmement naïf du héros.


Trondheim dessinant à l’origine les albums de la série Donjon Zénith et Sfar ceux de Donjon Crépuscule, il fallait bien trouver un troisième larron pour assurer la partie graphique de Donjon Potron-Minet. C’est donc à Christophe Blain qu’échoit cette tache, un choix ô combien judicieux ! Le dessinateur d’Isaac le pirate retrouve avec Donjon Potron-Minet exactement le même type d’univers et d’ambiance, où duels à l’épée et tempérament aventureux des héros se mêlent aux bons mots et à des tentatives de séduction maladroites de la gent féminine. Blain est donc en terrain conquis et apporte une touche très personnelle à Donjon, assez différente de celle de Trondheim et de Sfar, ce qui fait que la série Donjon Potron-Minet se démarque vraiment au sein de la saga Donjon, avec sa propre identité graphique. Le trait est original, léger, imprécis, assez hésitant et un peu tordu ; pas forcément spectaculaire ni esthétique (du moins dans ce premier album) mais avec suffisamment de personnalité. Avec des dessins et des cases assez petites, Blain arrive bien à nous faire ressentir le côté écrasant d’Antipolis pour les personnages, minuscules êtres perdus dans ces rues tortueuses au milieu de ces bâtiments démesurés. De même, les contours pas très droits des habitations renforcent le côté bancal et anarchique de la ville d’Antipolis, et l’atmosphère pesante propre à la série Donjon Potron-Minet s’installe, lentement mais sûrement.


Malgré quelques imperfections dans son scénario et quelques hésitations dans le dessin, La Chemise de la Nuit constitue une parfaite mise en bouche de la magnifique série Donjon Potron-Minet. Un album essentiel en terme de background, qui se bonifie en plus après plusieurs relectures.

_minot_
8
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le 29 mars 2021

Critique lue 380 fois

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