Ce tome fait suite à Batman Rebirth, Tome 3 : Mon nom est Bane (épisodes 16 à 20, 23, 24, annual 1) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant, même s'il faut garder à l'esprit que le scénariste a conçu ses épisodes comme une histoire continue au long cours. Il contient les épisodes 25 à 32, initialement parus en 2017, écrits par Tom King. Mikel Janín a dessiné et encré les épisodes 25, 26, 28, 29, 31 et 32, avec l'aide de Hugo Petrus pour l'encrage de l'épisode 29, et une mise en couleurs de June Chung. Clay Mann a dessiné les épisodes 27 (encrage de Danny Miki et John Livesay, avec une mise en couleurs de Gabe Eltaeb), et 30 (encrage de Seth Mann, couleurs de Jordie Bellaire). Ce tome contient également les couvertures variantes réalisées par Tim Sale (*4), Josh Middleton, Tony S. Daniel, Neal Adams, Olivier Coipel.


Il y a quelques années de cela, un comédien de stand-up se tient sur une scène ne avec un rideau rouge derrière lui. Il vient de finir quelques blagues : l'individu qui constitue l'auditoire n'a pas ri. Il l'abat froidement d'un coup d'arme à feu. Il appelle le suivant. Chris Feder monte sur la scène et le spectateur lui dit de la nettoyer. Feder jette le cadavre en bas de la scène où il va en rejoindre plus d'une dizaine d'autres. Edward Nygma est incarcéré et pour le moment il se trouve dans une salle d'interrogatoire où un inspecteur lui demande de l'aide pour une série de meurtres. Nygma lui demande s'il peut voir la blague, l'autre répond que non. La réponse énigmatique de Nygma ne satisfaisant pas le lieutenant de police, il se lève et s'apprête à sortir en lui rappelant que s'il ne donne pas d'information, il n'aura rien en échange. Nygma lui demande de rester et lui pose une devinette : pourquoi est-ce que la fin du monde n'arrive jamais ? L'autre reste sans réponse et Nygma se jette sur lui avec un poignard de fortune et le massacre. James Gordon supervise une opération de police qui consiste à pénétrer dans un club où se trouve sûrement Joker. Le club est soufflé par une explosion venant de l'intérieur. Joker sort discrètement, abat un policier, lui raconte une blague, la trouve pathétique et s'en va. Il abat encore une passante avant de partir tranquille.


Pendant ce temps-là, Batman était sur un toit en train de surveiller la ville. À l'intérieur de la prison, Riddler continue sa progression vers la sortie avec son chapeau melon vert sur la tête. Il est désarmé. Il s'arrête devant un groupe de policiers prêts à ouvrir le feu sur lui et commence à réciter une liste de prénoms. Les policiers s'écartent lentement et le laisse passer tout en continuant de le tenir en joue. Plus tard, Batman aura l'occasion de discuter avec celui d'entre eux qui a fourni les prénoms à Nygma. Ce dernier leur pose une devinette : à qui cela porte-t-il malchance de croiser un chat noir ? Joker est monté dans une voiture et il raconte au chauffeur la blague du monsieur qui a acheté un nouveau boomerang et qui voudrait se débarrasser de l'ancien. Le conducteur rigole. Joker l'abat. La voiture fait un tonneau et termine dans une fontaine. Joker finit par arriver à son bureau et s'y installe. Peu de temps après, Edward Nygma arrive peu de temps après. Au temps présent Bruce Wayne est en train de raconter les détails de cette histoire à Selina Kyle, au lit.


Après la confrontation terrible contre Bane dans le tome précédent, le lecteur ne sait pas trop quelle direction va prendre le récit. Il se retrouve un peu décontenancé de ce retour dans le passé pour une guerre ouverte entre Riddler et Joker, avec la police de Gotham totalement dépassée, et Batman qui a bien du mal à progresser dans son enquête pour mettre la main sur les meneurs. Il se retrouve surpris de voir que le scénariste ne fait pas les choses à moitié car cette guerre ouverte entre le plus grand ennemi de Batman et un autre (à l'allégeance changeante entre les bons et les méchants en fonction des époques) qui ne fait pas dans la dentelle. Riddler se montre violent et brutalement efficace dans l'agression du policier (une séquence visuellement sèche et rapide), puis terrifiant en énonçant simplement des prénoms d'une voix posée, inquiétant lors de sa scarification qu'il fait lui-même, d'une confiance en lui qui en impose face à Joker. Mikel Janín & Clay Mann dessinent dans un registre réaliste, avec des traits de contour fins sans exagérer la musculature de l'un ou de l'autre, 2 individus bien découplés, sans être des culturistes. Au fur et à mesure que les affrontements continuent, chacun d'entre eux recrutent parmi les supercriminels de Gotham, tous représentés avec soin et précision. Mikel Janín dessine des bordures de cases en forme de lianes épineuses quand Pamela Isley s'occupe de quelques porte-flingues. Puis il effectue 2 dessins en double page : le premier pour montrer ceux qui se sont associés à Riddler avec sa silhouette les dominant en arrière-plan, le second avec ceux s'étant rangés à Joker, avec également sa silhouette les dominant arrière-plan. Les traits d'encrage de Clay Mann sont un peu moins secs et froids que ceux de Janín, apportant ce qu'il faut de chaleur à Kite Man (Charles Brown) de retour après son apparition dans l'épisode 23.


Sous réserve de ne pas trop tiquer devant l'interprétation de Riddler (un peu plus extrême que d'habitude), le lecteur se laisse facilement prendre à cette guerre ouverte dont le point de départ est assez simple : Riddler propose à Joker qu'ils s'associent pour se débarrasser de Batman. L'idée ne séduit pas Joker qui tire à bout portant sur Riddler : la guerre est déclarée. En outre, Joker ne rit plus. Son comportement est toujours aussi meurtrier et plus sinistre encore. Tom King joue le jeu : les escarmouches sont vives et brutales, Riddler pose des devinettes, Joker raconte des blagues. L'histoire réserve des surprises allant de James Gordon en slip, à Bruce Wayne accueillant Joker et Riddler à sa table pour dîner. Les dessinateurs œuvrent dans un registre réaliste, avec un bon sens de la dramatisation. Le lecteur se rend compte que l'un comme l’autre varie régulièrement leur découpage de page en fonction de la nature de la séquence : cases de la largeur de la page pour créer un effet claustrophobique avec les humoristes sur scène, suite de 2 dessins en double page pour l'arrivée de Riddler dans l'immense bureau de Joker (d'abord du point de vue de l'un, puis de celui de l'autre), succession de 8 cases de tête en train de parler pour montrer la rapidité de la discussion entre Riddler et Joker, une page découpée en 5 cases verticales pour montrer un individu qui s'éloigne, succession de 2 dessins en pleine page pour opposer l'arrivée de Batman au départ de Joker, incrustation d'écrans de télé, bordure de case de la forme de lettres écrivant une onomatopée, case de la largeur de la page, avec des cases verticales en dessous comme suspendues à celle du dessus. Le lecteur ressent toute cette variété qui n'a rien de démonstrative.


Mikel Janín & Clay Mann réussissent à donner une apparence normale et évidente aux individus costumés, dans des décors réalistes et plausibles, avec une classe certaine. Joker est à la fois un homme d'une stature normale, avec une peau albinos, et à la fois un individu dont le visage exprime une hargne d'une rare intensité. Riddler est à la fois un bel homme bien découplé avec un décolleté plongeant jusqu'au nombril, et un individu au regard froid et calculateur, avec une confiance en lui qui en impose jusqu'à faire peur. Le lecteur accepte bien volontiers de voir comment ces 2 ennemis se livrent à une guerre sans pitié, et de voir Batman bien en peine de savoir par où commencer pour y mettre fin. Il n'est pas certain que cette histoire apporte grand-chose à Batman, même si c'est lui qui en train de la raconter à Selina Kyle. En cours de route, il se rend compte qu'il se prend de sympathie avec Charles Jones, pourtant un des ennemis les plus ridicules de Batman, ou l'un des moins crédibles, à savoir Kite Man. Ce monsieur sait qu'il ne vaut pas tripette, qu'il n'accomplit pas grand-chose, que les autres supercriminels se moquent de lui et le considèrent comme un raté. Il en est même réduit à expliquer cette situation à son propre fils, en lui disant qu'il a appris à s'en accommoder, faute de faire mieux. Cette franchise est aussi déconcertante que réconfortante : Charles Brown ne s'est pas résigné à son sort, mais il l'a accepté et il s'y adapté, conscient de ses limites. Mais quand même…


… quand même il faut un peu de temps au lecteur pour se demander pourquoi il reste vaguement insatisfait à la lecture de ce tome : c'est quoi le rapport avec la vision d'auteur de Tom King sur Batman ? C'est quelque chose qui se produit dans l'épisode 26, et qui se reproduit dans l'épisode 32. Alors qu'il avait commencé par écrire un Über Batman en cohérence avec la saison précédant son arrivée, Tom King humanise son personnage, sans le trahir. Cette guerre peu commune trouve une résolution qui fait ressortir le caractère d'Edward Nygma. Elle est l'occasion de donner de l'épaisseur et de la crédibilité à Charles Brown. Elle montre aussi une forme de faillibilité chez Batman, d'imperfection qui le hante. Cela produit une répercussion sur sa relation avec Selina Kyle, celle-ci lui demandant de sortir de sa posture d'alpha-mâle, pour devenir un être humain normal le temps d'un instant. À ce moment, elle devient une personne à part entière, prouvant qu'elle n'est pas sous l'emprise de l'aura de Batman, qu'elle n'est pas domptée par son ascendant


Cette guerre des blagues et des devinettes est très surprenante : l'histoire est bien construite avec une narration visuelle de grande qualité, tout en donnant l'impression d'arriver comme un cheveu sur la soupe, comme si Tom King avait juste voulu se faire plaisir en écrivant Joker et Riddler. Sans être une histoire à chute, le dernier épisode permet d'apprécier l'enjeu du récit dans la perspective de la relation entre Selina et Bruce, et l'impact qu'a eu cette guerre sur l'image que Bruce a de lui-même.

Presence
9
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le 20 févr. 2020

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