Il fut une époque où on laissait un peu de temps aux séries de bandes dessinées : relativement peu de « one-shots », une prépublication en journaux, un côté « artisanal / alternatif » de la bande dessinée en général, peut-être aussi moins de foisonnement éditorial… Ce système produisait aussi des étrons, mais on en pondait trois ou quatre avant de tirer la chasse. Les premiers Thorgal datent de la fin de cette époque. (Peut-être qu’un spécialiste pourrait me répondre : y a-t-il des séries franco-belges qui ont commencé avant 1980 et qui durent encore ?)
Les couleurs y étaient plus criardes, moins harmonisées d’un bout à l’autre de l’album, mais il me semble que la bande dessinée montrait davantage de fantaisie. Ça pouvait aboutir à des sens de lecture bizarres (cf. les pages 5 ou 6 ; si vous voulez vérifier, l’album est lisible en ligne sur le site de l’éditeur) et à des planches surchargées, comme celle de la page 23. Mais la Magicienne trahie, dont on a tout à fait le droit de trouver les couleurs criardes, y gagne aussi en dynamisme. La case 4 de la page 17, par exemple, est un modèle de composition, et les couleurs n’y sont pas pour rien.
Avec le recul on peut encore noter, comme cela a souvent été fait, que l’album pose les jalons de la série : l’amour inconditionnel de Thorgal pour Aaricia (qui tournera plus tard à la mièvrerie), la douceur d’un homme qui sait pourtant battre les brutes sur le terrain de la brutalité, et la présence d’une figure d’amazone qui annonce Kriss. Et je crois que si certains des albums suivants perdront en intérêt, c’est parce que ces jalons y seront exploités avec beaucoup de lourdeur.
Ici, au final, les deux histoires qui composent l’album – « La Magicienne trahie » et « Presque le Paradis… » se lisent d’autant plus agréablement que le rythme en est enlevé : des ellipses, des dialogues réduits à juste ce qu’il faut pour caractériser les personnages, et une variété dans le cadrage qui ne laisse pas de temps mort.