Avec sa formidable veine feuilletoniste, Charlier a imposé dans la bande dessinée le goût des longues sagas et des intrigues à tiroirs. L'idée de départ de ce cycle qui s'achève en apothéose était donc suffisamment ouverte pour permettre d'étirer l'histoire à l'infini, d'introduire nombre de rebondissements et de coups de théâtre, tout en ne perdant pas de vue le but initial rappelé au lecteur par une note de bas de page (voir l'album....). Mais attention, il ne fait pas comme ces auteurs qui font durer une histoire sur plusieurs albums pour faire du commercial, non, à l'époque, ce procédé était encore peu répandu. Charlier construit un récit d'une densité rare qui devient de plus en plus captivant à mesure qu'on avance dans l'intrigue. Et ici, on arrive à un final en beauté avec un duel où le juste triomphe ; la fin est d'ailleurs un peu expédiée par manque de place, on peut le regretter. Mais quel parcours, et quel plaisir on a pris à cette lecture qui vous plonge dans un tourbillon d'aventures trépidantes, tout en montrant la folie humaine qui déclenche des massacres inutiles.
Je retiens une grande scène très réussie, celle de la mine, où Blueberry parvient encore par son éloquence à embobiner Finlay et ses jay-hawkers d'y participer. Mais j'ai aussi un grand regret avec la mort atroce de Crowe par l'ignoble Quanah, surtout la façon dont il est tué ; bien-sûr, il connaît la mort logique des traîtres comme ceux du cinéma, mais entretemps, il était devenu si sympathique en s'étant racheté une conduite héroïque exemplaire, on ne peut s'empêcher de le regretter. Finalement, on s'aperçoit que la BD c'est comme au cinéma, elle utilise les mêmes codes du western à l'écran, les bons triomphent non sans mal parfois, les moins bons sont sacrifiés, et les méchants sont punis, c'est un ordre immuable. D'autant plus que dans la BD franco-belge, on commençait à voir des personnages mourir dans ces années 60, Greg avait aussi malmené certains personnages de ses séries qu'il scénarisait dans le journal Tintin, le temps des héros qui s'en sortent toujours et à qui il n'arrive jamais rien était révolu.
Le dessin s'améliore de façon flagrante ; cet album marque nettement la progression de Gir, son graphisme s'est enrichi, il joue avec la profondeur de champ, et les premières hachures font une discrète apparition, utilisées surtout dans le modelé des visages qu'il n'arrive toujours pas à bien stabiliser. Dans ses décors, Gir possède maintenant assez de maîtrise pour représenter les matières, le contraste est évident avec les 2 premiers albums. Et cette couverture d'album, gosh ! qu'elle est belle !
Cet ultime opus cloture donc avec maestria un cycle qui reste pour moi le plus prodigieux dans cette série mythique, et pourtant, il y en aura d'autres, et pourtant c'est le premier essai non dénué d'imperfections graphiques et narratives d'un duo d'auteurs qui reste une légende de la bande dessinée, et qui ignorent encore à cette époque qu'ils viennent de créer l'une des BD western les plus fabuleuses.

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le 6 sept. 2020

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Ugly

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