Alors qu'on avait apprécié de le départ des aventures de notre chat parlant favori vers des contrées toutes rohmériennes, voilà que Joann Sfar surprend tout le monde en effectuant un retour inattendu vers les origines du "Chat du Rabbin" : nous allons donc découvrir dans "la Reine de Shabbat", qui constitue a priori le premier volume d'un diptyque puisqu'il s'interrompt "en pleine action", ni plus ni moins que l'arrivée du chat chez le rabbin, l'irruption de la parole chez lui et les conséquences de cet événement pour le moins singulier, ainsi que l'éveil de la belle Zlabya aux tentations de la chair et de la liberté, voire au féminisme...


Soyons clairs : les cinq premières pages de "la Reine de Shabbat" sont merveilleuses d'émotion, d'humour et de profondeur, mais le reste du livre est quant à lui des plus médiocres. Quelque chose ne fonctionne plus dans ces aventures fantaisistes auxquelles on aimerait pourtant beaucoup souscrire : les héroïnes féminines de Sfar sont toujours aussi sexy, et le coup du ventriloquisme et des quiproquos quasi "lubistchiens" qui s'ensuivent est une vraie bonne idée, mais quelque chose se grippe dans la mécanique de la comédie, et les sourires que nous arrachent les blagues plus nombreuses ici qu'à l'habitude dans la série ne compensent pas l'ennui léger que dispensent ces très longues soixante-dix pages...


Notons aussi que, comme dans les tomes précédents, l'optimisme allègre des premiers temps a bel et bien disparu : entre les enfants arabes qui expriment librement un anti-sémitisme violent, et les sombres réflexions sur les persécutions qui s'abattent régulièrement sur le peuple juif, la douceur de vivre et la lumière d'Alger la Blanche que l'on a connues - et aimées - dans les premiers volumes du "Chat du Rabbin" ne dissimulent plus les périls d'un monde où l'intolérance, les préjugés et la haine semblent avoir définitivement triomphé.


Du point de vue graphique, on remarquera aussi une tendance maladroite de Sfar à parsemer ses cases d'une multitude de petites taches noires à l'encre de chine, sensées figurer de petites ombres sur les personnages et dans les paysages, mais qui se révèlent souvent très envahissantes, au point de détourner l'attention du lecteur ! Un détail sans doute, mais qui pourra gêner la lecture...


Espérons en tout cas que "Retournez chez vous !", puisque ce sera apparemment le titre de la suite de l'histoire, verra Sfar redresser la barre de son vaisseau à la dérive, ou bien, mieux encore, l'amener définitivement à bon port !


[Critique écrite en 2019]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2019/12/26/le-chat-du-rabbin-tome-9-la-reine-de-shabbat-le-triomple-de-lintolerance/

EricDebarnot
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le 26 déc. 2019

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Eric BBYoda

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