Galerie des charognards du tennis de haut niveau

Ce roman graphique, centré sur le monde du tennis (on y trouve même, page 88, un terrain supposé célèbre du nom de "Mownibeld"...) sait échapper aux conventions démagogiques aussi bien du serial "sportif" destiné aux hordes de supporters qui cultivent leur futur infarctus en hurlant devant un écran de télé et en s'envoyant des canettes toutes plus toxiques les unes que les autres, que du manga "sportif" japonais, sagement initiatique, où un jeune héros s'initie aux rudiments de l'activité dans laquelle il deviendra expert et illustre au bout de soixante volumes.


Ici, Max Winson est d'emblée champion du monde, bat tout le monde depuis plusieurs années, ne laisse aucun espoir de succès à ses adversaires, et il n'y a pas de raison qu'il en reste là. Ce roman graphique commence là où le manga sauce japonaise est supposé s'arrêter.


Max Winson est un mignon jeune homme de 23 ans, avec ce visage lisse, poupin et naïf de ceux qui ne sont jamais vraiment sortis de l'enfance, et qui ne se pose aucune question sur sa supériorité sportive. Placide, souvent inexpressif, gentil, obéissant à son entourage, c'est le type même du gentil garçon qui ne cherche de crosses à personne. Il gagne ses matchs, et basta !


C'est justement là que se trouve l'intérêt de ce volume. En tant que super-champion, Max Winson se trouve en butte à d'énormes pressions sociales-morales de la part de divers personnages - pas vraiment lisses, eux - qui exploitent de manière éhontée les performances de Max en essayant d'en tirer des profits, soit sonnants et trébuchants, soit psychologiques et sociaux.


On rit jaune (personnellement, je serais plutôt consterné, car le côté comique des choses est assez lointain) devant la diversité des formes d'exploitation dont Max super-champion fait l'objet : admiration hypnotique et fanatique de foules d'anonymes, qui y voient clairement un idéal de sortie de la médiocrité dans laquelle ils végètent (page 15); l'outrance est manifeste quand on voit à quels sentiments extrêmes d'extase ou de désespoir les admirateurs sont conduits selon les performances de Max (page 76); Max idéal viril-sexuel pour une fille qui voudrait bien que son mec lui ressemble (page 15; ah ! cette naïveté des filles à vouloir refaire les mecs !); les vendeurs de produits dérivés en tout genre portant le nom de Max Winson (page 22); la petite connasse-arriviste, plus pressé que le lapin d' "Alice au Pays des Merveilles", qui traîne le pauvre Max de rendez-vous médiatique en séance photos ((l'excès baroque de la séance, pages 37-41, organisée par un photographe (forcément homosexuel - il n'en existe pas d'autres ?) vaut le détour); la petite journaliste-pétasse avide de renommée qui se la joue donneuse de leçons de morale pour devenir célèbre en mettant mal à l'aise Max Winson (pages 45 à 49), caricature odieuse du journaliste tout-puissant qui se croit le maître du monde du moment qu'il crée le scandale... Dans le dos de Max, le gestionnaire de ses biens et son entraîneur s'évertuent à gagner toujours plus de fric.


L'intérêt psychologique profond de cet épisode est de comprendre pourquoi Max, bien assis sur sa posture de victorieux indécrottable, va s'embarrasser d'un nouvel entraîneur hyper-névrosé qui cherche à maîtriser tous les impondérables qui peuvent perturber Max au dernier moment, en faisant construire un espace d'entraînement invraisemblable et ruineux (pages 78 à 83). Max s'épuise et perd de l'assurance à s'entraîner à faire face à des risques qui ne surviendront jamais, et pourtant il consent à cette absurdité : cette course inconcevable vers une inaccessible perfection devient le grain de sable qui perturbe la vie presque pépère de Max. (Page 77). On comprend (pages 99-106) à quel point cet entraîneur maniaque-obsessionnel n'est pas clair dans sa tête.


Cet entourage est aussi caricaturé et excessif que Max est lisse et sans histoire. En fait, ils cherchent à créer des ennuis à Max pour servir, de manière parfois sordide, leurs intérêts personnels. Jérémie Moreau nous offre une intéressante galerie de charognards de la célébrité qui, n'ayant pas réussi à briller eux-mêmes dans une compétence personnelle, vampirisent et parasitent celle des autres pour régler leurs propres comptes avec la vie.


L'art de Jérémie Bruno est de typer de manière réaliste des personnages très variés, en peu de vignettes suggestives : la coiffeuse qui accueille une marmaille dans son salon (pages 5-6); Max lui-même, avec son petit short sur des jambes démesurément longues, et sa coiffure heptagonale en étoile; le père de Max, crachant ses poumons, cardiaque à répétition, doté d'une tête de mort par avance, vit le peu qui lui reste de vie par procuration, en exhortant férocement et aveuglément son rejeton à gagner. On savourera les décors et les personnages de la dictature indéterminée (peut-être d'inspiration nord-coréenne) où Max s'en va jouer à la fin de l'album.


Le dessin, assez simplifié, est très sûr de lui dans les formes de contours difficiles à saisir. Dans ce format de roman graphique, quatre à sept vignettes par planche, ligne claire très lisible mais jouant habilement sur l'épaisseur des traits, présentent un récit intégralement en noir, blanc et surtout gris. Les conventions graphiques du manga sont parfois reprises (voir la scène dans le stade, page 8). Les décors sont parfois plus que suggérés (les têtes dans la foule des spectateurs sont de simples taches même pas régulières (page 9). La mise en pages procède parfois, lors des actes répétitifs (matchs, mouvements de foule, etc.) par collage irrégulier de trapèzes disposés sans souci de lecture séquentielle.


Chacun en prend pour son grade - et le lecteur a intérêt à se sentir visé, surtout s'il aime le tennis. Mais l'attitude de Max n'est pas claire; les décision qu'il prend sont difficiles à comprendre : que cherche-t-il au juste ?

khorsabad
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le 23 juil. 2015

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