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Trondheim revient au bercail (?), vingt ans plus tard, chez Dargaud, pour son nouveau Lapinot : est-ce l’occasion de démarrer un nouveau cycle ? Pas vraiment, puisque ce Chapeau maudit reste fidèle à la formule désormais éprouvée des aventures de notre lapin préféré, au moins depuis son étonnant retour du pays des morts (rappelons que le Lapinot ressuscité se distingue du Lapinot ante-mortem grâce à son T-shirt noir orné d’une tête de mort !). Même si l’on reste en terrain connu avec ce nouvel album — comprenez des histoires délirantes, frôlant l’absurde, mais qui permettent à Trondheim de se livrer à des commentaires pertinents (et drôles) sur notre société —, cet album inaugure une nouvelle dénomination : « Une aventure de Lapinot dans une situation pas possible ».

Le décor – lugubre, presque « timburtonien » – est planté d’emblée : une nuit d’éclipse, une campagne sombre, un château en ruines, un environnement un peu effrayant dans lequel Lapinot, Richard et leurs ami·es vont faire de drôles de rencontres : des bikers, des adeptes des jeux de rôle, des Juifs et des Arabes. Et puis l’histoire prend un virage franchement fantastique avec un chapeau qui permet de réaliser les prédictions les plus funestes. On pense d’abord à une blague à la limite du ridicule – et d’ailleurs, c’est l’insupportable Richard qui va en faire usage, de ce fameux chapeau -, mais derrière le couvre-chef se dissimule un personnage inquiétant, et l’on s’aperçoit que le rire va servir de sésame à un suspense fantastique, avec une menace existentielle pour toute l’humanité !

Ce double registre, classique chez Lapinot – la comédie de mœurs à tendance burlesque et la fiction de genre -, permet aux meilleurs volumes de la collection de devenir des fables, souvent noires ; et c’est bien le cas avec Le Chapeau maudit. D’un côté, on retrouve la mécanique comique habituelle du duo Lapinot/Richard : le scepticisme placide du premier, les fanfaronnades perpétuelles du second, et, entre eux, ce flot de dialogues où l’absurde pervertit le réel. De l’autre, Trondheim dépeint, avec son sens habituel de la dérision, nos écosystèmes actuels où la « vérité » se déforme à souhait au fil des conversations et des délires sur les réseaux sociaux. Mais Trondheim, à son habitude, n’a rien d’un cynique : à la fin prévalent, après le déferlement du chaos, la complicité entre amis, les alliances improbables et le retour à la raison. Et surtout, le rire, partagé.

Graphiquement, le parti pris d’unité de temps – tout se passe pendant une seule nuit – a des côtés positifs (cohérence des atmosphères, silhouettes qui se découpent dans la nuit, sobriété et élégance des vignettes), mais confère une sensation d’uniformité à une histoire qui, en plus, met un peu de temps à démarrer, et qui ne fonctionnera à plein rendement que dans sa seconde moitié.

Au final, ce nouveau Lapinot, apparemment bien accueilli en librairie, s'avère bel et bien poursuivre dans l’esprit désormais presque « classique » de la série, mais avec une « noirceur » plus accentuée. Espérons que le Chapeau maudit jettera ses sorts également sur des lecteurs pas encore familiers avec le plus beau héros de Trondheim : il n’y a rien que nous ne souhaitions plus que de voir un jour les Aventures de Lapinot qualifiées de « BD française populaire »…

[Critique écrite en 2025]

https://www.benzinemag.net/2025/09/19/lapinot-le-chapeau-maudit-de-lewis-trondheim-lapinot-eclipses-et-propheties/

Eric-BBYoda
7
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le 19 sept. 2025

Critique lue 61 fois

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