Le Chemin des fous n’est pas seulement une délicieuse aventure drôle et réussie, mais c’est aussi une petite curiosité, la deuxième chance d’une BD qui n’avait pas rencontré son succès mais qui put 15 ans plus tard être « refaite ».
Comme l’indique Bertrand Escaich (moitié du duo Beka avec Caroline Roque), Les brumes du Miroboland a été une saga de fantasy initiée parce que le genre dans les années 1990 et 2000 était à la mode et vendeur, avant qu’il ne s’écroule sous le trop plein de séries. Mais les auteurs avaient eu le sentiment de proposer une déclinaison intéressante, grâce à un ton léger et un humour bien appuyés.
La création de Bertrand Escaich et de Alexandre Mermin (avant qu’il ne signe Poupard) ne connut pas un grand succès, s’arrêtant avec son deuxième numéro. Par la suite les auteurs continuèrent à travailler ensemble chez Bambou pour Les Rugbymen, prolifique série (20 tomes et des hors série) et qui a au moins l’avantage de ne pas être la pire série d’humour du catalogue de l’éditeur.
Mais il leur restait l’envie de retravailler sur l’univers de Miroboland, dont ils gardaient une tendresse particulière. L'éditeur a accordé à ses poules aux oeufs d'or une nouvelle chance en ressortant leur oeuvre, sans pour autant proposer une réedition, habituelle dans le monde de la bande dessinée, mais plutôt une re-création, presqu’un remake.
Les deux albums ont ainsi été regroupés en un seul, avec quelques modifications. Les dessins n’ont pas été modifiés, et le trait rond et dessin animé de Poupard n’a pas vieilli, c’est vraiment une petite aventure soigneusement illustrée. Mais la composition des scènes a parfois été modifiée. Et tous les dialogues ont été revus, poussant encore plus loin l’humour et les calembours.
N’ayant pas lu les tomes originaux, il est difficile de juger de la différence. Mais en passant de 2 X 48 pages à une soixantaine de pages, la compression se fait ressentir mais le rythme est vitaminé, rarement trop brutal. Deux pages, l’une toute grise pour prétexter une tempête, l’autre toute noire sous l’obscurité, semblent avoir été ajoutées avec du texte pour faire avancer le scénario sans reprendre les précédentes cases de l’édition précédente. Mais ce qui jure le plus réside dans la fin, en eau de boudin, tout se termine beaucoup trop vite, sans explications, avec du commentaire hors scène pour relater ce qui s’est passé plutôt que de nous le montrer. Quel dommage de s’arrêter sur cette fin alors que toute la lecture avait été un petit plaisir léger. Cette conclusion est probablement la partie la plus sacrifiée de cette refonte, à moins qu'il ne s'agisse d'un nécessaire effort pour lui offrir une fin qui n'existait pas à l'époque des tomes originaux.
Mais ce qui compte ce n’est pas la destination mais le voyage, selon ce vieil adage. Et la destination est une charmante aventure, dans le monde de Miroboland, cadre de fantasy, où le vieux sage Lewiskarol a été emmené par les troupes du maléfique Belranguen. Le jeune guerrier un peu benêt mais plein de bonnes intentions Andiwarol, les deux étudiantes du mage, la studieuse Pam et la plus frivole Lilimarlèn, vont alors partir à sa recherche. Sur leur chemin ils croiseront les Ondines sirènes d’eaux, les lutins Fofolets, et bien d’autres personnages assez hauts en couleurs, tandis que l’aîné du village, Ajmur, croisera leur route plusieurs fois, lui qui recherche la mort à tout prix.
Ces personnages bien trempés et assez attachants permettent de suivre l’aventure, mais ce qui fait tout le charme de l’album, c’est bien son humour. Il fait revivre une tradition un peu perdue, celle des calembours et des jeux de mots, dans un esprit qui n’est pas loin de celui de Goscinny et de ses Astérix. Ce n’est évidemment pas la même maîtrise, mais l’élève fait son possible, chaque dialogue ou presque est rempli de petits jeux d’esprits, parfois évidents, parfois plus subtils. Béka n’a pas peur d’aller au bout de son thème, que ce soit celui de la folie des Fofolets ou du capitalisme avec les Kapitos, petites créatures conquises à la loi du marché mais vivant dans une forêt.
Sans les cases illustrées l’humour perd de son lien, mais voici quelques exemples pour donner une petite impression du ton :
Avec deux femmes qui se croisent avec leurs maris hagards :
- « Le vôtre aussi est saoul ?
- Non ! Il est bourré de bonnes intentions »
« Il faut de l’eau qui dort pour les Ondines »
« Les heures ont filé comme un trait (les kapitos parlent de traits-d’heures) »
Toujours avec les Kapitos : « Qui ose nous déranger alors que nous avons tant à-faire ? … Et les réunions d’à-faires sont sacrées pour nous ! »
Le Chemin des fous est donc cette lecture sans prétentions, sans fond, mais à la bonne humeur et à l’humour léger réussis. Les quelques idées de son univers servent le propos, pour nous proposer des rencontres et des scènes divertissantes et amusantes. Cette recompilation est donc assez surprenante, mais elle est surtout assez réussie, en dehors de quelques rustines qui se comprennent après avoir lu l’histoire éditoriale du projet dans la postface. Cette seconde chance est une belle décision pour faire redécouvrir cette série qui ne se prend pas au sérieux, qui ne se prend pas la tête, qui ne se prend pas pour la nouvelle référence du genre. Merci.