Je n'ai jamais été qu'un lecteur curieux des aventures de Blake et Mortimer : le côté froid et coincé de ces héros de cire aux "good heavens" de circonstance avait tendance à me laisser... flegmatique. Pour autant, je ne songeais pas à regarder trop durement cette BD qui exhalait le vieux tabac, et se parait des couleurs des napperons en dentelle de mes grands-parents. Après tout, ces albums avaient la légitimité de ces insolites passants de la rue que le figés à notre époque dans le charme désuet de leurs habits anciens.

E.P. Jacobs m'apparaissait comme un cousin amidonné d'Hergé, aussi naïf, vieillot et plein d'intentions morales suant la bonne éducation. Rien de bien méchant, en somme, et cela avait l'avantage de rappeler quelques règles de maintien aux voyous de notre monde ultralibéral où l'argent est roi et l'absence de scrupules une vertu de la réussite.

Le Dernier Espadon, malheureusement, sort de cet uniforme impeccable de horse-guard. Blake, officier de standing pétri d'honneur devient un vulgaire barbouze au service du Mi5 ou de je ne sais quel service de tueurs d'Etat assermentés ; curieusement, il s'en plaint, d'ailleurs. Quant à Mortimer il ne vaut guère mieux. Le professeur, qui jadis mettait ses efforts essentiellement au service de la science, s'abaisse à convoyer des bombardiers stratégiques Espadons pour le compte de la Couronne britannique : lamentable déchéance !

Tout cela sur fond d'intrigue mêlant l'IRA aux Nazis finissants, à l'aube de l'armistice, ce qui est un contre-sens historique. Car si l'IRA a effectivement sérieusement engagé une alliance militaire avec les Allemands, ce fut en 1939, quand elle avait une chance que cela débouche sur une libération du nord de l'île, toujours occupée par le Royaume-uni et exclue du processus de l'indépendance de l'Eire (1921) par une Grande-Bretagne amère car contrainte en ce sens par les USA, mais qui contrôlait alors le plus vaste territoire colonial jamais établi dans l'histoire de l'humanité. Les Nord-Irlandais n'auraient jamais rallié les nazis en 1945, même en réaction à la main de fer que l'armée britannique leur faisait sentir !

Le scénario, qui présente la Grande-Bretagne comme une puissance moralement sans faute, aurait pu bénéficier des circonstances atténuantes de l'ignorance et de l'aveuglement s'il avait été écrit en 1960. Aujourd'hui, il a les relents infects du fascisme révisionniste entourant de son aura l'histoire des vainqueurs de la seconde guerre mondiale.

Jean van Hamme, père de l'insipide et prétentieux "Thorgal" et du guindé et méprisant "Largo Winch" aurait-il concocté un album de Blake et Mortimer pour dénoncer la brutalité des troupes coloniales britanniques et les dizaines de milliers d'innocents morts par la faute de sa répression impitoyable ? Je gage que non. Des morts dont le souverain britannique Charles III admet aujourd'hui qu'elles n'ont aucune excuse. Pas trop tôt pour notre conscience collective !

Deux étoiles, donc : une pour le dessinateur et l'autre pour le coloriste qui feraient mieux d'aller vendre leurs compétences ailleurs. Et souhaitons que cet Espadon-là soit vraiment le dernier pour Jean Van Hamme qui a suffisamment de trimestres pour se mettre à la retraite.

Edonor
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le 5 nov. 2023

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