D'abord, il faut être accro à Presley pour trouver de l'intérêt à cette BD. Je ne connais de ce mec que son nom et sa banane, ce qui est un peu court.
Bon, on peut toujours dire que l'adoration du public ne s'adresse pas à un individu, mais à une image (puisqu'il suffit, apparemment, de ressembler à Presley et d'avoir la même voix que lui pour le remplacer post-mortem). Dans un sens, ce serait moral, puisqu'on est censé aimer un chanteur pour ses qualités vocales et pas pour ses histoires de cul. Donc, si quelqu'un a les mêmes qualités artistiques, pourquoi ne pas l'aimer lui aussi ?
Le récit est l'occasion de faire une galerie de portraits contrastée de divers adorateurs de Presley bis, de ses gardes du corps, assez maussades et inquiétants. Le remplaçant de Presley est en quelque sorte véritablement un Dieu, dans la mesure où il transfigure la vie des gens par l'exaltation qu'il leur procure, et que, grâce à lui, la destinée de Paul Erfurt va peut-être rebondir. Pourtant, le style de notre journaliste n'a rien de transcendant, et sa perspicacité ne saute pas aux yeux, lui qui reconstitue des biographies complètement bidons des gens qu'il rencontre, en jouant au Sherlock Holmes de comptoir.
Finalement, le plus sympa est peut-être l'imposteur masqué lui-même, qui assume sereinement son imposture, en parlant sur un ton de sagesse assez intéressant.
Là où on décroche, c'est dans tout le côté religieux associé à l'image du King. Passe encore que, dans une crise de mégalomanie, un individu adulé par les foules se croie divin. Mais qu'il y ait une Eglise Presleyenne, avec des rites, des gadgets et du pognon, ce ne serait peut-être vraisemblable que dans un pays tout imprégné d'un monothéisme autoritaire. Ailleurs, ça fait plutôt comique.
D'autre part, il faut bien avouer que le récit ne parle que du vent, du néant, de l'image et de son inconsistance. Pas trop pour moi. Je prends les images pour ce qu'elles sont: des représentations, des supports à projections psychiques. Qu'un individu puisse bénéficier de ces projections au point de se sentir Dieu, cela justifie une vision assez pessimiste de l'humanité.
Le dessin, par contre, est intéressant. très "ligne claire" modérément expressionniste, il joue avec habileté du nombre de vignettes par page pour susciter les émotions, sur le cadrage, et parfois, de réplication de vignettes identiques assez bien dosées.