Ayant déjà pu lire (via ma bibliothèque de quartier) 2 ou 3 des petits livres de cette collection de vulgarisation en BD, je suis très agréablement surpris par le niveau des contributions ; et ce "libéralisme" est sans doute le meilleur et le plus intéressant des tomes qui me soient jusqu'à présent tombés entre les mains.


Quand d'autres essais de "BD sociologiques" se plantent assez magistralement dans l'emploi du medium BD, le reléguant à un rang de simple illustration du texte (cf. une autre de mes critiques récentes: https://www.senscritique.com/bd/Panique_dans_le_16e/critique/157999855), celle-ci constitue à l'inverse un modèle de compromis et d'équilibre entre les deux dimensions (on a à la fois une bonne BD, bien rythmée, formellement imaginative et souvent drôle, et des développements intéressants sur le sujet qui nous intéresse). Ce livre mérite donc amplement son 9/10, et constitue une introduction solide et stimulante au sujet, avec pour guides prestigieux pas moins que les fantômes de David Hume et de Montesquieu ; les seuls bémols que je pourrais émettre seraient que la BD est un peu trop courte (mais bon, le livre ne coûte que 10 euros et demeure accessible à quasiment toutes les bourses), et peut-être que les éléments de glossaire ne sont pas vraiment bien intégrés à l'ensemble - ils arrivent à la toute fin, un peu comme un cheveu sur la soupe, sans connexion explicite avec les développement du livre. De même, s'il est appréciable d'avoir quelques mini-bios de penseurs du libéralisme, il aurait été largement préférable, plutôt qu'un classement alphabétique un peu absurde, de le construire suivant l'ordre chronologique. Mais bon, tant pis.


Pour en revenir à l'essentiel, c'est-à-dire au contenu (il s'agit avant tout de notes pour moi-même pour retenir les grands points de développement de l'argumentation ; si vous avez l'intention de lire effectivement ce livre, vous pouvez donc vous arrêtez là ; j'ai dit tout ce que j'avais à dire en matière d'évaluation globale du bouquin) :


la thèse essentielle du livre est que le libéralisme est une "galaxie floue" et traversée, travaillée par de fortes contradictions ; il serait donc faux de chercher à en donner une définition trop restrictive ; les auteurs soulignent d'ailleurs avec raison qu'il serait quelque peu paradoxal de vouloir définir de manière trop stricte, rigide, une doctrine ayant pour motivation centrale la recherche de la "liberté";


or, pour commencer, qu'est-ce que cette "liberté" du "libéralisme"? Pour les auteurs, le libéralisme naît d'une rupture (prenant ses racines dans la Renaissance et s'épanouissant totalement sous les Lumières) avec la liberté telle qu'elle était appréhendé par les "Anciens" : alors que l'individu était assujetti le plus souvent au groupe et la liberté pensée comme naissant de l'exercice de devoirs ou de hautes facultés (cf. par exemple les pensées de Platon ou d'Aristote où la liberté naît de la sagesse, qui naît elle-même d'un important travail sur soi-même), le libéralisme moderne tranche avec ces conceptions en posant la liberté comme un principe individuel, inconditionnel et inaliénable, bref, comme un "droit naturel" devant être protégé par les institutions (qui édictent le droit formel) ;


mais se définir contre quelque chose, face à un contre-modèle, ne suffit pas pour autant à obtenir un tout cohérent. Comme le souligne les auteurs, cette conception d'un "droit naturel" est elle-même porteuse d'une tension fondatrice entre liberté (droit naturel donc) et ordre (faire respecter les conditions d'expression du droit naturel); l'équilibre (plus ou moins précaire) qui en résultera dépendra également du contenu, du champ d'expression valorisé pour cette "liberté" - on retrouve là l'opposition classique et bien connue entre notamment le libéralisme politique et le libéralisme économique.


L'ouvrage propose également une classification, j'ai trouvé, intéressante des types de libéralisme en fonction de leur positionnement face à l'idée de progrès:
- "optimisme de l'émergence": du désordre finit toujours par naître un nouvel état d'ordre (on retrouve ici par exemple l'idée de "main invisible" d'Adam Smith, ou encore largement l'idée d'équilibre au cœur de l'économie néo-classique; sur le plan politique, c'est le refus général des grandes idéologies et la défense de la pluralité, seule condition pour faire apparaître des institutions et normes viables, etc.);
- "pessimisme de l'émergence": l'ordre va toujours finir par se dégrader en état stationnaire, puis en désordre (cette idée est par exemple au coeur de la pensée Schumpeterienne, qui fait la part belle à l'innovateur, seul à même de contrecarrer la tendance naturelle au désordre - à l' "entropie");
- "refus de l'émergence" : du libéralisme, rien d'autre ne doit émerger que la reproduction à l'identique de ses principes (conception non-évolutive, dont Kant est un peu le modèle absolu, par son "légalisme" poussé à l'extrême; c'est aussi en économie la conception de certains néo-libéraux qui posent en principes inflexibles certaines règles comme l'indépendance des banques centrales ou le contrôle du budget, etc.)


Au final, les auteurs ne camouflent à aucun moment le caractère extrêmement nébuleux et la très grande diversité intrinsèque à leur sujet d'étude. Ils en profitent, comme évoqué plus haut, pour proposer une réhabilitation du flou et de la contingence dans les sciences humaines et les conceptions politiques (même si un cadre doit bien venir à un moment ou un autre fixer des limites à l'expression de ce flou et de cette contingence), dont émergent les innovations.

Tibulle85
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le 24 juil. 2018

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Tibulle85

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