Quand littérature et bande dessinée s'entraînent par le fond
N'ayant jamais lu de roman de Jack London, j'entamais la lecture de ce "Loup des mers" sans aucun a priori mais avec l'engouement qu'avaient suscité quelques planches entraperçues en feuilletant l'album chez le libraire.
Malheureusement, le malaise s'installe très rapidement après l'entame de l'album : si les planches sont graphiquement irréprochables et portent avec brio une atmosphère oppressante de huis-clos marin, le rythme, lui, est aux abonnés absents.
Chaque case (j'exagère à peine) a droit à son cartouche expliquant ce qui s'est passé entre deux cases ou décrivant l'humeur d'un personnage. Pire, certains cartouches décrivent même ce qui est dépeint dans la case !
Que l'auteur ait cherché à donner à son récit une tonalité littéraire s'entend parfaitement (hommage à Jack London ou volonté de narration à travers les yeux de son personnage principal qui est critique littéraire), mais la manière dont il choisit de le faire est sans doute pour moi la plus mauvaise de toutes quant on s'attaque au média BD.
Car en cherchant à romancer à outrance son récit via ces fameux cartouches, non seulement le rythme est sans cesse plombé par des descriptions ampoulées qui auraient pu être transcrites graphiquement, mais s'ajoute à ça une certaine distance entre le lecteur et l'histoire dans laquelle il tente de se plonger.
Car de fait, les personnages sont plats, sans intérêts, leur personnalité ne naît pas graphiquement par des actes ou des réactions, l'auteur ne nous laisse pas libres de les interpréter ou de nous les approprier. Non, les personnages nous sont imposés, leur personnalité assénée à grands coups de cartouches péremptoires et trop descriptifs pour nous laisser la fantaisie de l'imagination, ce qui n'est pas vraiment convaincant.
D'ailleurs, à quel lecteur Loup Larsen fait-il vraiment peur ? On nous le décrit comme un sauvage dénué de morale pendant des dizaines de pages sans que rien de concret (jusqu'à la moitié de l'album) ne vienne accréditer ces affirmations. Ce n'est que lorsqu'on le voit dans toute sa cruauté que le personnage prend de l'ampleur, pas quand on nous le décrit à coup de phrases pompeuses et souvent mal écrites.
C'est la crédibilité-même de ses personnages et donc de son récit que l'auteur sacrifie en choisissant ce procédé
Le dessin n'est finalement là qu'en support et non comme un élément narratif, j'ai eu trop souvent l'impression de lire un roman illustré pour me dire que l'auteur tirait plein profit du média bande dessinée.
C'est cette frustration de voir un dessin virtuose si sous-exploité voire désamorcé qui m'a énormément déçu.
Ne parlons même pas de la fin complètement bâclée, presque ridicule qui n'a rien arrangé à ma déception en refermant l'album.
D'autres auteurs ont beaucoup mieux réussi à "littérariser" leur oeuvre BD (je pense à Ayrolles et Masbou avec De Capes et de Crocs ou à Miller avec Sin City pour ne citer qu'eux) sans plomber le rythme de leur récit ou désintéresser le lecteur quant au sort de leurs personnages.
Au final, reste un travail dantesque et un plaisir visuel qui, même sabordé (ah ah, super jeu de mots) par la lourdeur de la narration, vaut bien un 6. On ne m'enlèvera pas de l'esprit qu'il ne rend malheureusement ni honneur à la BD ni à la littérature car la fusion n'a pas été suffisamment bien pensée. Avec ce talent et cette matière, Riff Reb's aurait pu être bien plus convaincant.