Yotsuba ! + Dorohedoro

Oui. Pour ceux d'entre vous qui ont eu la chance (et le bon goût) de lire ces deux mangas géniaux, on peut difficilement faire plus opposé en terme de fond et de forme. La où le dessin de Yotsuba & ! est chaleureux, illustrant le quotidien d'une petite fille naïve s'émerveillant de chaque nouvelle expérience, celui de Dorohedoro est volontairement crade et suintant dépeignant à merveille son univers violent dans lequel des humains lambda luttent contre des sorciers.

Ainsi pour moi, le monde de Ran est à la croisée de ces deux œuvres. Car on y suit le quotidien de Ran - petite fille de 10 ans - qui en enfilant une paire de basket magiques se voit grandir de 10 ans et augmenter ses pouvoirs magiques de façon conséquente. Ran est l'archétype de la chipie toujours prompte à faire des bêtises, mais fille chérie de ses parents - les deux sorciers les plus puissances de ce monde - souvent absents. Pour autant ne vous y trompez pas, ce manga n'est pas destiné aux enfants : certaines scènes sont assez frivoles, l'humour tombe de rares fois en-dessous de la ceinture et une histoire d'amour provoquera chez vous des haussements de sourcils perplexes lorsque vous vous demanderez ou l'auteur veux vous emmener.

Néanmoins ce manga est très plaisant à suivre. Desservit par un dessin chaleureux aux accents shojo bien maitrisés - comprenez par là les gimmick du shojo : les grands yeux larmoyants, les bishonen et bishojo (littéralement "beaux garçons et belles filles"), les compositions florales d'arrière plan, etc... - et au fan service bien dosé qui ne s'avance jamais sur le terrain du mauvais goût (fan service que je compare personnellement à celui de Bride Stories, excusez du peu !), l'histoire de Ran se compose dans sa première partie de péripéties plus ou moins innocentes. Plus tard ce seront des quiproquos équivoques qui s'immisceront dans l'histoire lui donnant des allures de manga comique à l'humour très maitrisé. Si l'histoire avait perduré dans ce sens pendant une bonne dizaine de tomes j'aurai signé sans hésitation

pourtant la série va s'orienter très rapidement vers un horizon beaucoup plus sérieux et grave.

Et inutile de vous dire que même cet aspect là est bien maitrisé : les antagonistes ne sont pas caricaturaux (mais ça tient en grande partie à leur nature de mal immatériel dont la justification - en fin d'œuvre - a des accents de fable humaniste) et la romance que l'on voit mâturer tout au long de la série trouvera une fin... surprenante!

Parlons-en de la fin d'ailleurs! Aki IRIE nous propose - chose trop rare et à ma connaissance unique - de nous attarder sur la vie de ses personnages APRES les évènements marquants, donnant alors à l'œuvre une saveur supplémentaire.
Ainsi certains personnages feront l'expérience de grandir (fini la métaphore désormais) de manière assez brutale.

Dans la postface du dernier tome, Aki IRIE nous avoue que ce sont ses souvenirs d'enfance qui ont donnés corps à son œuvre. Vous y retrouverez donc peut être un peu de ce qui a fait vos rêves d'enfants tout en passant du rire aux larmes, mais la dernière sensation qui vous marquera à la fermeture du dernier tome sera bien la même pour tout le monde : une nostalgie tendre-amère d'un passé bel et bien révolu.