Une critique des examens du Permis de Conduire ?
Le titre de cette BD et son résumé m'avait attiré car j'avais cru d'abord à une critique implicite du système d'examen du permis de conduire, parfois décrié par les jeunes automobilistes comme truqué, piégeux, bourré de questions techniques irréalistes ou excessives, bref ... malhonnête car semble être fait pour que la majorité des gens échouent.
On voit ça notamment avec le couple gay ami du couple hétéro de nos héros (Liz et Denis), qui dénonce la constante évolution du permis d'enfanter ou d'avoir des enfants (il est interdit d'être enceinte ou d'adopter avant le précieux diplôme).
Ledit couple gay se fait éjecter de l'examen théorique du permis de parentalité où chaque erreur est éliminatoire. Tout ça parce que les examinateurs ont transformé une bonne réponse de l'année dernière par une mauvaise. On dirait réellement les conditions d'un examen du Code de la route poussées au paroxysme.
D'ailleurs, quand Liz passe enfin l'examen pratique, tout est fait pour la faire perdre. Ça ressemblerait presque à une escroquerie d'État tellement les examinateurs sont sadiques, ou sinon à un sentiment sécuritaire paranoïaque. Même si Liz et Denis sont aidés de "grands-parents" formateurs sympathiques mais appliquant strictement les règles, toujours est-il que l'examen n'est pas du tout équitable :
Liz doit prouver qu'elle peut gérer un bébé. Mais le "bébé" de l'examen est en fait un adulte ou un robot de 200 kg qui a bien sûr pour instructions de faire semblant de se mettre en danger pendant que Liz est distraite par les autres examinateurs. Tout ça pour la faire paraître pour irresponsable et lui refuser le fameux Permis.
Le champ lexical utiliser semble d'abord indiquer qu'il s'agit de critiquer l'(in)accessibilité de ce même sésame, mais en remplaçant la conduite par le droit d'enfanter pour mieux dénoncer l'infantilisation des jeunes adultes, tous vus comme potentiels chauffards ou parents indignes.
Dénonciation d'un système inégalitaire et malthusianiste
Puis quand on rentre plus dans le fond politique de l'histoire, on pourrait croire à premier abord que ça va être une critique des politiques anti-familiales "de gauche" façon directives de l'enfant unique chinois ou anti-bourgeoisie des Khmers rouges. Ou tout simplement du malthusianisme, peu importe qu'il soit "de gauche" (ne pas faire d'enfants par pessimisme quant à l'avenir ou en raison du manque de ressources) ou "de droite" (ne pas faire d'enfants car c'est mauvais pour l'Économie nationale ou personnelle).
Ils ont qu'à le dire tout simplement, s'ils ne veulent pas qu'on fasse d'enfants !
Sauf que quand on voit les présentations des modes de fonctionnement de la société, lesquelles sont assez simplifiés comme des contes pour enfants (on retrouve le thème de l'infantilisation des citoyens adultes), on voit que le monde est inégalitaire et divisé en trois catégories : "ceux qui ont tout" (les riches et autres classes aisées), "ceux qui ont peu" (la majorité de la population, surtout la petite bourgeoisie) et enfin "ceux qui n'ont rien" (les précaires).
On rajoute aussi à ça la dénonciation de la fausse positivité par les auteurs, dans le sens qu'on fait passer ça ainsi que les colères légitimes des gens en leur demandant de rester "positifs" et de "souffler un bon coup" façon sophrologie arnaqueuse (Denis utilise ça pour régler les conflits et bagarres, mais c'est utilisé contre Liz pour la faire passer pour immature).
De plus, quand on lit l'explication du fonctionnement de la société, on se rend compte que ce "manuel" justifie l'exploitation et la maltraitance des masses précaires, y compris racisées et LGBT, au profit d'élites blanches et riches, et que le "Permis" est une façon de faire diversion quant à ce problème et d'éviter une remise en cause.
C'est pour ça que le couple gay se fait rejeter aux examens plus de 5 fois. Et le manuel montre "ceux qui n'ont rien" majoritairement comme noires/métis et pauvres. Et "ceux qui ont peu" se font souvent refuser le Permis d'avoir des enfants, tout ça parce que leurs enfants ont tendance à remettre en question le système, donc à se rebeller contre les inégalités qui favorisent les gouvernants.
C'est donc par crainte de la Révolution juvénile que les élites refusent le Permis aux adultes lambdas. Et pour encore détourner le problème, ils font de "ceux qui n'ont rien" un ennemi pour ceux "qui ont peu" : ils les présentent comme sauvages et dangereux, limite cannibales pour faire peur à la petite-bourgeoisie soumise à ceux "qui ont tout".
C'est pourquoi notre Liz en a plus qu'assez de ce système injuste qui l'empêche d'être maman en dépit du principe même de liberté et en dépit d'un fait qu'aucune administration ne peut contrôler :
Liz est enceinte de Denis. Ce qui dérange l'État favorable au contrôle des naissances. Ce dernier menace même de lui enlever son enfant car elle n'a pas le Permis. Liz part donc et quitte le pays, puis tombe dans celui de "ceux qui n'ont rien". La BD se finit assez vite là-dessus, mais en gros elle s'aperçoit que "ceux qui n'ont rien" ne sont pas du tout des sauvages et qu'ils ont même une ressource précieuse : des enfants faits par liberté et par choix. Liz va donc enfin pouvoir vivre normalement en tant que mère sans entraves.
Conclusion : Parentalité et Lutte des Classes
Bien au-delà de messages simplistes sur la défense du droit à la parentalité façon Fortress de 1992 (avec politique de l'enfant unique mais à l'américaine), Le Permis lui dénonce l'infantilisation de la société adulte ET les inégalités de classes par le prisme d'un examen "truqué" façon Permis de Conduire où le sujet des enfants sert de prétexte pour manipuler les masses précaires et peu aisées en n'en donnant qu'à une poignée d'entre eux pour éviter toute remise en cause du système.
On utilise les prismes de l'examen pour montrer ces inégalités d'accès, le déphasement des élites, leur sadisme moral envers les autres classes et leurs procédés retors pour garder le statu quo. On notera encore une fois qu'ils infantilisent hypocritement des adultes pour éviter qu'ils ne deviennent parents tout en les sermonnant quand ils n'arrivent pas à être "suffisamment matures" pour avoir le Permis d'avoir des enfants.
D'habitude souvent considéré comme "traditionnel", "apolitique" voire même parfois "conservateur", Le Permis développe un discours plutôt à gauche et défend le droit d'enfanter comme un droit et un choix à la fois personnel et collectif : le droit de prouver son amour en couple et d'en donner à ses futurs enfants, et de donner à ces derniers de quoi grandir physiquement et moralement sans se soumettre aveuglément à un système injuste par sens critique.
Tout comme la complexification de l'accès au permis de conduire avec le temps peut être perçu comme une entrave à la liberté de déplacement, Le Permis décrit donc toute entrave au droit de parentalité comme une atteinte à la liberté et à la conscience des masses pour garder les élites au sommet.