Une fois de plus l'enthousiasme de Jéjé fait son bagou à l'égard d'une histoire me donne envie de proposer une contribution. Si vous n'avez pas encore lu l'album lisez plutôt la sienne et ne revenez ici qu'une fois toute l'histoire bien digérée.
Pas d'analyse cette fois ci mais une petite mise en perspective. Le secret de la licorne est publié en 1943 la Belgique comme la France sont occupé et sous la coupe du régime nazi, Hergé publie son histoire dans le journal collaborationniste le soir. Même s'il n'est plus le jeune homme très influencé par l'extrême droite qu'il fut à ses débuts il reste un homme de droite autant de raison qui font que le récit apparait comme une oeuvre de divertissement ne reflétant pas les difficultés de son époque et pourtant, en filigrane il semble en dire bien plus qu'on ne crois sur son époque.


L'exemple du « Secret de la Licorne »
En 1942-43, l'épisode « Le secret de la Licorne » met en scène un univers quotidien exempt de toute restrictions et destructions malgré le fait qu'une image renvoie explicitement la fiction racontée à la période de publication (page 59 4/3, l'étiquette d'un portefeuille dérobé indique la date du « 12/10/42 »), l'aventure met en scène un univers quotidien où le ravitaillement ne semble pas poser de problèmes (les rues sont vierges de files d'attente) et où les voitures circulent librement à l'essence. La référence à la dureté des temps ne s'effectue qu'en de rares et allusives occasions.
– P 29 1/3 : Les termes « Topinambour » et « Doryphores » apparaissent dans les injures du capitaine Haddock.
– Le collectionneur de maquette marine porte le nom de ''Sakharine''.
– L'appartement-atelier de Tournesol comporte un modèle de gazogène.
« Le trésor de Rackham le Rouge » P 6 4/1 :
Tournesol : « Oui, c'est un nouveau modèle de gazogène »


Les allusions à l'actualité n'apparaissent que de manière cryptée par l'intermédiaire de rêves et de fantasmes à l'image du long récit du Capitaine Haddock (pp. 15-26) revivant le combat de son ancêtre. Séquence qui peut se lire comme une mise en abime onirique de la bataille de l'Atlantique opposant la Royal Navy aux U-Boot allemands qui fait rage au même moment. Malgré l'absence de sang, la représentation de la bataille navale fait une large part à la violence (les morts sont nombreux dans l'image et le texte).
A l'opposé de l'épisode précédent, « L'étoile mystérieuse » (1942), cette évocation n'est pas l'occasion d'exacerber le conflit du moment. Le capitaine François de Hadoque et son vaisseau « La Licorne » sont clairement rattachés au camp du bien et peuvent sans peine s'assimiler au camp des alliés.

– Bien que français le Chevalier de Hadoque se rattache au capitaine Haddock dont le nom et le goût pour le whisky font référence au monde anglo-saxon.
– « La Licorne » apparaît autant comme un bâtiment de transport que comme un vaisseau de guerre et peut, dans le contexte de l'époque, évoquer les convois de la marine britannique qui traversent l'Atlantique.


A contrario le méchant pirate de Rackham le Rouge qui pille et ravage l'océan peut s'assimiler aux U-Boot Allemands.

Le récit peut aussi se lire comme une métaphore (inconsciente) de la Belgique occupée (l'ouverture de l'aventure sur le vieux marché fait clairement référence à Bruxelles) où le combat de salon du capitaine Haddock exprime la frustration d'un pays mis sur la touche. La référence à la royauté par l'intermédiaire du récit.
« Le secret de la Licorne » P. 14 4/3 :
Haddock : « Nous sommes en 1698. La licorne, un fier vaisseau de troisième rang de la flotte de Louis XIV a quitté l'île de St-Domingue [...] »


« Le trésor de Rackham le Rouge » P. 58 1/1 :
Haddock : « Louis, par la grâce de Dieu roy de France, voulant récompenser les grands mérites de notre cher et aimé François, chevalier de Hadoque... »


peut illustrer l'impuissance du Roi des Belges Léopold III enfermé dans son palais de Laeken tandis que perdure la mythologie du précédent Roi Albert 1er surnommé le Roi-Chevalier suite à son action de commandant en chef de l'armée Belge durant la première guerre mondiale.


Le récit du combat qu'offre le capitaine à Tintin ne s'effectue pas de manière détachée (Haddock ne cessant de rejouer, au fil de son oraison, la geste de son ancêtre) et peut se lire à un double niveau.

– Psychologiquement la séquence correspond pour le lecteur, via le capitaine, à une confrontation fantasmé vis à vis du modèle d'un archétype parental.
– Historiquement elle exprime la frustration d'une communauté enfermée entre quatre murs pendant que d'autres font l'histoire en combattant dans le grand espace des océans.


Contrairement à d'autres épisodes de la saga, le diptyque « Le secret de la Licorne » / « Le trésor de Rackham le Rouge » ne connait pas de modifications ultérieures. Il apparaît néanmoins que cette apparente constance cache un changement de sens. L'allusion inconsciente à l'occupation qui opérait comme un fantasme compensatoire s'effaçant, au fil du temps, devant l'accroissement de la dimension imaginaire et universelle  d'un récit d'initiation.
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le 27 févr. 2022

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