Tout est achevé.

J'ai fermé l'ultime tome du Sommet des Dieux, j'ai terminé la pentalogie, j'ai gravi un sommet qu'un monstre de travail et artiste merveilleux a su créer. Histoire d'alpinisme, métaphore, quête sublime de rêves, Le Sommet des Dieux dans son intégralité est bouleversant. Les dessins des roches sont d'une rare violence, et s'il y a quelque chose que Taniguchi arrive à nous faire ressentir mieux que toutes les autres, c'est le vent. Ce cinquième et dernier tome, c'est celui où sont les plus présents les paysages, et les dernières fois que l'on voit des hommes gravir leurs sommets. Tout au bout du bout du monde, ils sont loin, au-delà, inaccessibles et sublimes terres enneigées au vent qui fascine les hommes et qui les terrifie. Injonction à se battre pour ses rêves, à avancer de toutes ses dernières forces, dans le dernier monologue de Habu Joji prêt à n'avancer qu'avec son cœur qu'il lui restera lorsque les mains, les jambes, les dents, les yeux l'auront abandonné.

Le dernier tome termine de sublimer Habu Joji. Il le représente à la fin comme un monolithe prisonnier des glaces, les yeux où brille encore la rage de vaincre jusqu'au dernier soupir. Vivre. Le nom de l'anté-pénultième épisode. Vivre. La puissance évocatrice de ce verbe à l'infinitif. Jirō Taniguchi dessine de la même force que celle avec laquelle filme Kurosawa.

Même si Taniguchi dessine à couper le souffle, c'est l'écriture qui fait défaut. On titille de temps en temps sur cette écriture dans d'autres tomes, mais c'est ici qu'elle est la plus flagrante. Trop de commentaires. Tous les encadrés rajoutent des points de vue trop généraux qui viennent nuire à la force de la monstration. Les encarts nous précisent ce qu'on voit déjà, où en tout cas ce que la force des images nous propose d'interpréter. " Fukamachi mettait toutes ses forces ", " il était épuisé ", " il pensait à Habu " nous donnent un peu l'impression d'être dans un mauvais roman qui tourne autour du pot. Rien n'est frustrant, mais ces mots où l'auteur transparaît beaucoup trop sont superflus. Les images remplissent le rôle de la narration, et cela suffit. Plus que dans d'autres tomes, même ceux où le scénario et l'enquête prend un peu trop de place, la force est un peu atténuée. Le dernier tome devrait, en fait, ce dernier sur cet avant-dernier chapitre, " Vivre ", même si l'image finale conclut l'affaire et donne enfin un sens à toute la quête de vérité du héros, quel qu'en fut le prix. Les dialogues en revanche sont toujours aussi efficaces, confinent à la poésie tant ils sont efficaces et incisifs.

Puissant. Terrifiant. Glaçant. Monolithique. Sublime. Dernier sommet d'une pentalogie de chef-d'œuvres qu'on imagine difficilement ne pas être le travail de toute une vie. Taniguchi est peut-être un génie des images, et s'il signe avec Le Gourmet Solitaire l'apogée de son style contemplatif, jamais une œuvre n'aura autant donné le désir que Le Sommet des Dieux de poursuivre ses rêves.

Rêver.
Réussir.
Vivre.
Ashen
8
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le 12 avr. 2014

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Ashen

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tommepouce
10

Survivre à 8000 mètres, c'est survivre à tout.

Je recommande ce bel aller (- sans retour parfois) sur le toit du monde. Un tome qui conclut avec brio une série qui est à la fois un manga, thriller et aventure...L'histoire de Fukamachi, reporter,...

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