« Blake et Mortimer » est une série qui appartient pleinement à mon imaginaire d’enfant. Tout petit, je l’associais à « Tintin ». Le dessin et l’aspect extérieur de l’album créaient à mes yeux un lien évident entre les deux univers. Malgré ce lien familial supposé et contrairement à l’œuvre d’Hergé, il m’a fallu attendre l’adolescence pour me plonger dans les aventures du célèbre duo britannique. Les intrigues étaient trop denses et trop complexes pour l’enfant que j’étais alors. Par contre, une fois en âge de me repérer sans mal dans les arcanes narratifs de l’œuvre d’Edgar P. Jacobs, j’ai enfin pu dévorer chacun des épisodes nés de sa plume avec un appétit jamais rassasié.
« Blake et Mortimer » est une des premières productions du neuvième art à survivre à son créateur. Son auteur est décédé en 1987. Une décennie plus tard, ses héros faisaient leur premier pas sans lui dans « L’Affaire Francis Blake » sous la plume de Jean Van Hamme et Ted Benoit. A mes yeux, cet opus était une réussite et offrait ainsi à la saga la possibilité d’une seconde vie. D’ailleurs, à l’image des chats qui possèdent neuf vies, « Blake et Mortimer » a connu plusieurs reprises par des auteurs divers et variés : Yves Sente, André Juillard, René Sterne, Chantal de Spielgeleer, Antoine Aubin, Jean Dufaux, et Etienne Schréder. Malgré la richesse créative de tout ce petit monde, chacun s’est efforcé de respecter les codes de l’œuvre initiale offrant ainsi un hommage majuscule à Jacobs et permettant à ses lecteurs de vivre de nouvelles heures de joie bédéphiles.
Ma critique d’aujourd’hui porte sur le vingt-quatrième acte de la série, fruit de la collaboration du scénariste Yves Sente et du dessinateur André Guillard. Il s’intitule « Le testament de William S. ». Sans dévoiler d’informations fondamentales, il s’agit du S de Shakespeare. En effet, l’intrigue nous plonge dans le passé du célèbre dramaturge. Au cours d’une soirée organisée chez lui dans son appartement vénitien, Stefano Da Spiri découvre dans ses caves un mystérieux document caché depuis trois siècles. Ce bout de papier évoque un jeu de piste dont la récompense serait une pièce inédite « Maître Double ». Est-il besoin de préciser que nos deux héros favoris se trouvent embrigadés dans cette quête à laquelle va se greffer une rivalité historique entre Stratfordiens et Oxfordiens ?
En refermant l’album après ma lecture, j’ai eu le sentiment d’avoir lu un cousin du « Da Vinci Code ». La course au trésor, les énigmes qui s’enchainent, les messages cachés… Tous les ingrédients chers à Dan Brown sont de sortie. Etant bon client de ce type d’histoire, j’ai donc savouré goulument les pérégrinations théâtrales et historiques de Francis et Philip. J’ai pris du plaisir à passer d’étapes en étapes en résolvant les problèmes successifs de ce jeu de piste. La densité narrative attise en permanence la curiosité et entretient un suspense constant du début à la fin. Les auteurs arrivent à nous laisser dans le flou concernant le dénouement tout au long de la lecture. C’est particulièrement appréciable.
Néanmoins cet album reste fidèle aux codes de la saga. Le duo formé par les héros est une machine bien huilée qui ne commet jamais de faux pas. Ils sont à la fois la tête et les jambes et une nouvelle fois ni l’un ni l’autre ne leur fait défaut. Leurs codes « british » et leur côté « vieille école » transpirent toujours autant de chacune de leurs actions et cela me fait toujours plaisir de les retrouver. Comme souvent lors de leurs dernières aventures, ils sont accompagnés d’une femme au cours de leurs pérégrinations. Ce qui était inenvisageable sous l’ère Jacobs est presque devenu une tradition depuis. Il s’agit ici de Miss Summertown, présidente de la William Shakespeare Defenders Society. Autant dire que nous sommes dans les hautes sphères britanniques ! Cela colle parfaitement à l’atmosphère caractéristique et classique de la saga. Les adeptes seront conquis.
Les codes scénaristiques ne sont pas les seuls à être respectés. Il en est de même pour ceux du dessin. Le trait d’André Juillard s’inscrit parfaitement dans la lignée de celui de Jacobs. Bien que ce style ne soit plus trop à la mode, je le trouve malgré tout agréable et efficace quand il est si bien exploité. Chaque planche est travaillée avec précision et doigté. Les personnages sont bien construits et les décors sont plein de détails facilitant ainsi notre immersion dans l’univers de l’album. Les couleurs participent également activement à la réussite de l’ensemble et à la chaleur de la lecture. Bref, il s’agit d’un travail graphique sérieux et appliqué.
Pour conclure, « Le testament de William S. » est un très bon cru de « Blake et Mortimer ». On y trouve tous les ingrédients de la série et ils sont savamment cuisinés. Le résultat se déguste avec plaisir. Je ne peux que le conseiller à tous les adeptes de l’univers de Jacobs. Néanmoins, il offrira également une porte d’entrée intéressante et facile pour un novice curieux de rencontrer enfin les célèbres héros de sa Majesté.

Eric17
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le 28 févr. 2017

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