Arizona, 1874. Les attaques de diligence se multiplient dans cette région désertique sans foi ni loi, devenue un véritable terrain de jeu pour les bandits et les pillards. N’hésitant jamais à tuer et violer tous ceux et toutes celles qu’ils croisent sur leur passage, l’infâme Burt Bell et sa bande de tueurs sont prêts à tout pour mettre la main sur les biens précieux transportés par les diligences. "Toutes les attaques se terminent de la même manière: les employés de la Wells Fargo sont tués et les fonds transportés disparaissent", s’énerve John Byers, le patron de la Westbank, qui a convoqué le shérif de la ville pour une réunion de crise. "Si vous comptez sur moi pour surveiller vos dollars, laissez tomber, on nous paie pour maintenir l’ordre à Flagstaff, pas pour nous faire buter sur la piste en escortant une diligence", répond sèchement le policier. Pendant ce temps-là, les trois habitants du paisible relais de Dead Indian Peak, à mi-chemin entre Flagstaff et Sedona, sont loin de se douter du déluge de feu qui les attend. A commencer par la jeune Elfie, qui s’apprête à fêter ses dix-huit ans. Elle vit dans ce coin paumé avec sa grand-mère Marian Potter, qui l’a élevée suite au décès de ses parents, et Mad Wolf, un Indien Navajo. Forcément, un trio aussi improbable étonne les rares voyageurs de passage, d’autant plus que dans cette zone de non-droit, les femmes sont des proies faciles pour les bandits. Et de fait, cela ne va pas tarder à chauffer à Dead Indian Peak, qui devient subitement le "place to be" de la région. Après avoir accueilli le mystérieux Lew Mac Sween, un cow-boy qui cache un lourd secret, et la courageuse Mattie Silks, une prostituée en fuite, Elfie, Marian et Mad Wolf vont voir débarquer une foule d’autres visiteurs beaucoup moins bien intentionnés. Mais qu’est-ce qui attire donc tous ces gens à Dead Indian Peak?
Des hors-la-loi, des chevaux, de la poussière, des attaques de diligence, un saloon… "Leave Them Alone" contient tous les ingrédients d’un bon western à l’ancienne. Le scénariste Roger Seiter et le dessinateur Chris Regnault, qui ont pour point commun d’être des grands amateurs de cinéma, ont manifestement pris beaucoup de plaisir à créer ce décor infernal caractéristique du Far West. En l’occurrence un coin perdu au milieu du désert, dans lequel un trio de femmes va devoir se serrer les coudes pour survivre à la violence des hommes. Ce qui est très agréable, c’est que les auteurs prennent le temps d’installer leur intrigue et leurs personnages. Ils n’hésitent pas à utiliser des séquences plus longues, à l’image de la scène d’introduction, mais aussi des cases plus larges, parfois même sur une page entière, ce qui leur donne l’opportunité d’installer une véritable ambiance, comme dans une série Netflix. Avant de se lancer dans ce projet, Seiter et Regnault ont commencé par confronter leurs références en western, de John Wayne à "Godless" en passant par Sergio Leone et Quentin Tarantino. Toutes ces influences se retrouvent dans les dessins très énergiques de Chris Regnault, qui sont clairement nourris au cinémascope. Mais s’il est vrai que cette BD s’inspire des westerns classiques, elle n’est certainement pas denuée de modernité. Il suffit de regarder ses personnages principaux. Soyons honnêtes, il y a relativement peu de westerns dont les héros sont des héroïnes. Dans "Leave Them Alone", ce sont bel et bien les femmes qui occupent le premier plan, que ce soient Elfie et sa grand-mère, ou Mattie, la prostituée en fuite. Quant au scénario, il s’appuie certes sur des thèmes récurrents dans quasiment tous les westerns, à savoir l’argent-roi et la survie à tout prix, mais ce sont bel et bien les failles et le courage des trois héroïnes qui donnent au récit son souffle et sa singularité. "Leave Them Alone" est à la fois un hommage réussi au western classique, avec un côté rugueux qui sent la poudre et la poussière, mais aussi une réinterprétation du genre, avec une large place laissée aux émotions. Ce qui est bien aussi, c’est que ce n’est pas un récit binaire avec d’un côté des gentils et de l’autre des méchants. Ses personnages s’avèrent beaucoup plus ambivalents, remplis de contradictions et de failles. Une belle réussite donc, qui annonce sans doute d’autres collaborations entre Roger Seiter et Chris Regnault. "On va certainement retravailler ensemble", confirment les deux compères.
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