Comme son titre l'indique, ce tome est consacré à des récits de Batman dessinés par Norm Breyfogle. Il contient les épisodes 579, 582 à 594 et 601 à 607 de la série mensuelle "Detective comics", ainsi que les parties des numéros annuels 11 et 12 dessinés par Breyfogle, initialement parus entre 1987 et 1989. Les autres épisodes dans la chronologie numérique ne sont pas contenus dans ce recueil dans la mesure où ils ne furent pas dessinés par cet artiste. De la même manière, seules figurent les couvertures dessinées par Breyfogle. L'encrage est réalisé soit par lui-même, soit par d'autres. Pablo Marcos encre l'épisode 582, Kim DeMulder encre l'épisode 583, Ricardo Villagran encre le 585. Steve Mitchell encre les épisodes 584 et 592, et devient l'encreur attitré de la série de 601 à 607.


Coté scénariste, l'épisode 579 est écrit par Mike W. Barr, et le 582 par Robert Greenberger. L'annuel 11 est écrit par Max Allan Collins, et le 12 par Jo Duffy. À partir de l'épisode 583, Alan Grant et John Wagner (coscénaristes de Judge Dredd dans ces années-là) prennent les rênes de la série. John Wagner est crédité jusqu'à l'épisode 594, mais dans des interviews, Alan Grant a indiqué qu'il avait cessé de participer à l'écriture au bout de 5 épisodes, les rémunérations étant trop faibles.


En début de tome, Batman & Robin déjouent un trafic de poches de sang, puis Batman enquête sur la liberté sous surveillance du Penguin, Batman assiste James Gordon sur une sombre affaire de disparition d'un de ses coéquipiers militaires, et Robin se positionne par rapport aux rebelles de sa classe.


Ce recueil entre alors dans le vif du sujet avec l'arrivée d'Alan Grant et John Wagner. Ça commence dès l'épisode 583 avec la première apparition d'Arnold Wesker le ventriloque et sa marionnette Scarface. Épisode 585, c'est un criminel tout aussi dérangé qui fait son apparition : Otis Flannegan, connu sous le nom de Ratcatcher. Épisode 587, Batman se bat contre l'homme corrosif (Derek Mitchel). Par la suite, Batman continue d'affronter des criminels tous plus bizarres les uns que les autres, un shaman aborigène, un homme drogué aux hormones de la peur, un individu ayant animé un tulpa, et l'association des différents criminels ayant porté le nom de Clayface.


Norm Breyfogle a dessiné Batman pendant environ 6 ans, de 1987 à 1993, d'abord dans "Detective comics", puis dans "Shadow of the Bat". Par la force des choses, il a laissé une empreinte durable sur le personnage, et c'est un vrai plaisir que de pouvoir (re)lire ses épisodes dans une belle édition. Pourtant de prime abord, ses dessins semblent encore un peu à destination d'un jeune public (dans le mauvais sens du terme). Comme beaucoup de ses collègues, il s'intéresse moyennement aux décors, n'hésitant pas à s'en affranchir, en les représentant pas le temps d'une séquence, pendant une, deux ou trois pages. Ensuite, quand il les représente, le degré de simplification est assez élevé. Il n'y a qu'une seule exception dans la dernière page de l'épisode 590 où il utilise une photographie retouchée de Londres.


En général, les rues de Gotham ressemblent à un décor de carton-pâte : des façades lisses, avec des fenêtres en rectangle, sans montant, ni cadre. Les trottoirs sont lisses et plats, sans caniveau apparent. Certaines rues ne disposent pas de signalisation au sol, juste une large chaussée, également plane, dépourvue de la notion d'écoulement d'eau de ruissellement. Breyfogle fait un effort un peu plus important pour les aménagements intérieurs des pièces, avec un ameublement sommaire mais plausible.


Son interprétation de la Batmobile provient du même tonneau : un véhicule qui ressemble à une voiture jouet pour enfant de 6 ans, avec un ovale jaune sur chaque côté comme fond du logo de chauve-souris, discrétion assurée. Dans l'épisode 601, le lecteur a même le droit à un parachute à l'arrière du véhicule pour servir d'aérofrein, et un gros coussin gonflable à l'avant pour amortir le choc de la collision. Certes ces éléments sont dictés par le scénariste, mais le mode de représentation de Breyfogle (très simple, sans texture, avec une forme tout droit sortie d'un dessin animé pour enfant) les rend idiot.


Bien sûr les caractéristiques graphiques de l'artiste vont en s'affinant, mais dès le départ il est possible de constater que les visages des personnages n'ont rien d'agréable. Le degré de simplification est moins élevé, mais il n'y a pas de volonté de les rendre plus jolis ou séduisants. Pour le coup, Breyfogle ajoute souvent des petits traits sur la peau du visage, ce qui les rend un peu marqués, à l'opposé d'un visage lisse et juvénile. Ce qui pourrait être considéré comme un obstacle esthétique devient ici un atout qui contrebalance le côté éthéré des décors. Batman évolue dans un monde peuplé d'individus peu attachés à leur apparence, marqués par le quotidien. Ces protagonistes disposent d'une apparence adulte, non édulcorée. Sans être systématiquement menaçants ou louches, ils ne sont pas non plus de jeunes adultes fringants et aimables.


Avec ce constat, le lecteur se retrouve dans un drôle d'environnement peu substantiel, plus une esquisse d'environnement, avec juste assez de détails pour ne pas oublier où se déroule la séquence. C'est plus l'idée d'une rue, qu'une rue réelle. Il y évolue des individus à l'apparence adulte, se comportant en adultes. Breyfogle dispose d'autres atouts pour rendre sa narration intéressante. Il y a la forme des cases : il n'hésite pas à changer la forme du découpage à chaque page, pour mettre en valeur au mieux la séquence. Il accentue les mouvements avec des cases trapézoïdales ajustées au déplacement d'un personnage. Il utilise des plans rapprochés pour les éléments chocs (un couteau sur une gorge). Il utilise des contreplongées fréquemment pour accentuer la déstabilisation du lecteur, ou renforcer la stature de Batman. Il n'hésite pas à exagérer les déformations provoquées par ces angles de vue, avec des visages dont le menton est plus large que le front (à nouveau la forme du trapèze).


Cette approche graphique exagérée confère une incroyable présence à Batman, personnage dont la silhouette est à moitié mangée par l'ombre, et rend crédibles (ou en tout cas parfaitement intégrés dans la narration) toutes les créatures les plus bizarres, des Clayface au Demon. Au final le caractère factice des décors extérieurs provoque un glissement de la narration visuelle vers un onirisme léger, donnant une allure de conte aux aventures de ce Batman. Les angles de vue exagérés et les découpages sans cesse changeant font glisser les pages à la frontière d'un registre expressionniste.


Au fil des épisodes, le lecteur prend également conscience que la narration d'Alan Grant présente des particularités marquées. Il lui faut finalement peu de temps pour faire basculer ces aventures dans un bizarre dérangeant. Dès l'épisode 583, Batman se retrouve face à un drôle de gugusse : un ventriloque qui se comporte comme si sa marionnette était vivante, et les scénaristes laissent planer le doute, sans jamais le lever. Histoire suivante, Batman combat un individu qui se fait obéir des rats, puis c'est un monsieur pris dans une explosion de produits chimiques qui exsude un produit corrosif, puis c'est un aborigène au pouvoir mal défini. Le lecteur a l'impression d'idée de personnages, plus que de protagonistes réellement incarnés, des épures, dans des histoires de vengeance.


Alan Grant écarte Robin sans cérémonie, et Alfred Pennyworth ne fait que de courtes apparitions, il en va de même pour James Gordon. C'est comme si Batman évoluait dans une ville uniquement peuplée par les criminels et leurs victimes. Bruce Wayne n'apparaît quasiment pas. Il n'y a pas d'autres personnages récurrents que Batman. Il y a bien un allié ou deux, comme Demon (Jason Blood), puis Looker (Emily Briggs des Outsiders), pas vraiment des superhéros DC de premier plan.


Alan Grant incorpore parfois une dimension sociale, que ce soit un repris de justice, la spoliation des aborigènes, un individu dont les compétences sont devenues obsolètes. Ce qui fait le sel de ces récits, c'est la manière dont il transcrit la folie intérieure des criminels. Il est impossible de ne pas s'interroger sur la santé mentale d'Arnold Wesker. Il est certain que celle de Cornelius Stirk est aux abonnés absents. La relation entre les Clayface n'est pas un modèle d'équilibre. Sous des dehors criards de superhéros et de décors factices, Alan Grant et Norm Breyfogle entraînent le lecteur aux côtés d'individus sérieusement dérangés, faisant souffrir des êtres humains normaux. Le lecteur se rebelle à l'idée de ces meurtres arbitraires commis sur des victimes qui pourraient être lui, et il ressent l'impact de la haine et de l'anormalité des criminels.


La lecture de ces épisodes produit un premier effet de toc, avec des dessins pas jolis et un peu bâclés en ce qui concerne les décors, avec des criminels sans envergure et sans lendemain. Pourtant il se dégage une impression de malaise palpable dans ces aventures (le plus souvent en 2 épisodes) ne contenant que l'essentiel : Batman suit la trace d'un criminel dangereux et sadique. Scénariste et dessinateur racontent une épure de Batman qui n'est encombrée ni par sa vie privée, ni par des personnages récurrents, ni par une envie d'être réaliste. Il ne reste que cette volonté de lutter contre l'irrationalité des criminels, le chaos qu'ils engendrent, l'obscénité de leur anormalité, pourtant très humaine.

Presence
8
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le 28 août 2019

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