Vous connaissez tous James Bond, l'espion passant son temps à sauver le monde, un walther ppk dans une main, une vodka-martini dans une autre, une punch-line sur les lèvres, desquelles viennent de se décoller celles d'une superbe créature.


Vous connaissez probablement le Docteur, celui de Docteur Who. Il voyage entre les mondes parallèles et les époques, afin de les sauver par la force de son intelligence et de sa désinvolture.


Eh bien je vous propose une petite recette : assemblez, fusionnez ces deux personnages en un seul, en vous aidant de leur seul point commun : leur être frappé du sceau de l'Angleterre. Ajoutez une pincée de mysticisme et d'imageries christique... Et vous obtenez Luther Arkwright.


Mais vous ne connaissez certainement pas Luther Arkwright, et c'est bien dommage. Je suis très surpris que cette œuvre ne soit pas davantage connue, surtout sur SensCritique, patrie virtuelle du bon goût et de la culture s'il en est. Peu importe qu'elle fut saluée en son temps par des auteurs aussi prestigieux que Moebius, Neil Gaiman, Michael Moorcock, Jack Kirby et Alan Moore. Peu importe qu'elle ait inspiré l'Incal, Watchmen, V pour Vendetta. Peu importe qu'elle ait injustement sombré dans l'oubli, comme beaucoup d’œuvres fondatrices avant elles. C'est le lot, parfois, des premiers de cordée : ils ouvrent la voie, pour que les autres passent, et remportent toute la gloire pour eux-mêmes.


Par conséquent, ne m'en voulez pas d'être dithyrambique. Je cherche avant tout à vous faire découvrir cette œuvre unique en son genre, sous le charme duquel je suis tombé.


Avant toute chose, il me faut saluer la qualité du dessin. Il est tout simplement sublime. Le noir et blanc est ici parfaitement maîtrisé, alternant entre des tableaux aussi gigantesques que des dessins de Philippe Druillet et des planches plus proches des personnages. Bryan Talbot emprunte autant à la peinture qu'à la photographie, pour un résultat qui laisse bouche bée. Ce qui est particulièrement réussi, c'est l'aisance par laquelle il dessine aussi bien la beauté que la laideur, la vertu que le vice, et ce tout en maintenant une unité esthétique dans l'oeuvre ; cela ne serait pas possible sans sa parfaite maîtrise du noir et blanc, dont il déploie toutes les nuances à chaque planche.


Mais on ne sait que trop bien qu'une forme splendide peut habiller un fond banal voire mal fait. Et c'est précisément ce que Talbot ne fait pas.


Il développe par ce dessin un univers fascinant. Un univers ? Que dis-je. Un multivers. Plusieurs univers parallèles, surveillés par un seul, d'où une organisation du nom de Wotan maintient l'ordre face aux Disrupteurs, de mystérieux et sinistres individus, semant le chaos dans les parallèles, et dont l'identité réelle reste mystérieuse, jusqu'à la fin.


L'intrigue commence réellement lorsqu'on apprend que les Disrupteurs ont dérobés Firefrost, une arme pouvant détruire le multivers.


C'est là que notre héros, Luther Arkwright, entre en jeu. Agent de Wotan, il est le seul à pouvoir voyager entre les parallèles par la seule force de sa volonté. De surcroît, contrairement à tous les autres hommes, il est le seul à n'avoir aucun avatar dans un autre parallèle. Ce qui fait de lui une pièce de choix, un être unique au sens propre. Enfin, il jouit de quelques pouvoirs psychiques, ce qui est toujours sympa en cas de coup dur.


Ce personnage est l'un des points forts de la BD. Conscient de son unicité, il en retire une sorte de caractère distant vis-à-vis de ses semblables. Il multiplie les conquêtes amoureuses, sans compter que l'une d'entre elle, sa collègue Rose Wylde est une télépathe liée à tous ses avatars dans tous les mondes. Alors forcément, il n'a pas de quoi chômer, si j'ose dire. Et ce ne sont pas les nombreuses planches érotiques qui démentiront cela.


Mais plus sérieusement, il semble froid et peu empathique, n'hésitant pas à tuer et à manipuler sans remord, sans en devenir détestable pour autant. En effet, la narration alterne entre flash-backs et présent, nous présentant ainsi le pourquoi de ce personnage si intriguant.


À coté de cela, l'histoire se concentre principalement sur l'un des parallèles, une uchronie où le despotisme républicain installée par Cromwell a perduré dans le temps, devenant progressivement une dictature puritaine de tendance fasciste. À coté de cela, les partisans de l'ancienne dynastie royale, les Stuarts, sont toujours actifs et maintiennent la résistance face au Lord Protecteur Nathanaël Cromwell. Ce dernier est aussi un personnage intéressant : un fasciste de merde comme dirait George, mais dont l'éducation le traumatisa à jamais. Adam Susan de V pour Vendetta serait-il un de ses avatars ?


Le fait de se placer dans ce contexte ancre l'oeuvre dans la culture anglaise. Jugez plutôt : un régime fasciste contre lequel va se soulever un peuple uni autour de sa souveraine ; ça ne vous dit rien ? Non ? Bon, alors jetez un coup d’œil ici, et revenez ensuite. En fait non, restez, vous irez voir après.


Au passage, je dois confesser que la représentation d'une guerre de libération menée par une souveraine contre une république dictatoriale a le don d'exalter l'admirateur de l'Ancien Régime vêtu en noir pour le 14 juillet qui sommeille en moi, et se réveille de temps en temps.


Cela dit, l'auteur n'est pas indulgent envers le camp qu'Arkwright soutient, comme le montre le machiavélisme dont leurs dirigeants font parfois preuve en vue d'arriver à leurs fins. Sans compter leurs alliés, qui se disent leurs amis, mais veulent avant tout satisfaire leurs intérêts sans se soucier une seule seconde du bien du peuple anglais.


Et puis, il y a les Disrupteurs. En voilà des ennemis fascinants. On ne sait que très peu de choses sur eux, mais leur identité est révélée au fur et à mesure. De même que la nature de Luther Arkwright.


L'oeuvre souffre de quelque défauts. Parfois, elle est un peu trop glauque, insiste trop sur les scènes érotiques, est extrêmement verbeuse par moments, introduit des références au tarot ou au délires des philosophies new-age. Cependant, on passe dessus assez vite pour se concentrer uniquement sur ce qui est important : l'histoire et ses personnages.


Cela dit, cette lecture à un prix. Ne lisez pas Luther Arkwright pour vous détendre, vous passeriez un très mauvais moment. Le début de l'oeuvre est incompréhensible, de même que certains passages, notamment la fin. Il faut s'accrocher, que dis-je, se cramponner. Mais la récompense est au bout du chemin, le lecteur patient et persévérant se voyant récompensé par une bataille occupant plus du quart de l'oeuvre, épique et passionnante.


En refermant l'ouvrage, le lecteur le plus obstinément anti-britannique doit s'avouer à lui-même qu'il a lu une œuvre à nulle autre pareille. Un chef d'œuvre de la bande dessinée, que les méandres du temps ont condamné à l'injuste néant.


Alors de grâce, mettez votre anglophobie naturelle de coté, armez-vous de votre tasse de thé et de votre Histoire de l'Angleterre pour les nuls, et plongez-vous dans Les Aventures de Luther Arkwright.


Et si vous aimez, sachez qu'il y a une suite...

CréatureOnirique
9

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Créée

le 30 mai 2016

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