Eloge oui car il le mérite bien le pauvre.
Titre : Les Dalton dans le blizzard


Série : Lucky Luke


Auteur : Morris et Goscinny


1ère publication : Spirou 1962
Publication album : Dupuis 1963


Sources : B. Cyrulnik, « Eloge de Rantanplan » in Philosophie magazine, hors série n°15 ''Le sens de la vie'' septembre 2012 pp. 26-27.


22° album de la saga qui voit une fois de plus Lucky Luke à la poursuite des Daltons qui l'entraine jusqu'au Canada où il collabore avec la police montée canadienne.
Une fois de plus les auteurs ont opter pour une structure narrative linéaire au cours de laquelle le héros développe une amitié avec le personnage du caporal Winston Pendergast, ils se réconfortent mutuellement, LL lui témoigne de son admiration (« Winston vous avez une de ces autorité »).
On constate l'utilisation des personnages récurent de Rantanplan et des Dalton ensemble ils fournissent l'essentiel de l'élément comique de l'aventure, tandis que Lucky Luke meintient à la fois le sérieux et la continuité du récit.

L'album est inspiré du western « Les tuniques écarlates » (« North West Mounted Police ») de Cecil B De Mille avec Gary Cooper (1940).

La fonction de Rantanplan.
L'épisode est le deuxième à mettre en scène le personnage du chien Rantanplan. Au départ de l'aventure la mise en scène de Rantanplan correspond à un humour de contresens, les hommes voulant qu'il suive une piste qu'il ne songe qu'a fuir car cela « sent le haillon ». D'emblée un renversement de valeur s'opère l'animal (à priori stupide) incarne un bon sens dont l'homme (à priori intelligent) semble dépourvu. Fonction que le cheval Jolly Jumper reprendra sur un mode beaucoup plus moralisateur dans les épisodes de la fin des années 60.


Ce refus du chien à se conformer aux fonctions que l'humain lui attribue amène l'homme a en faire un véritable exutoire de ses pulsions sadiques.
– LL traine en s'amusant Rantanplan derrière lui « c'est comme une boussole qui indiquerait toujours le sud »)
– LL le fait passer pour une bête féroce alors qu'il ne souhaite que montrer qu'il a bien assimiler les codes de la civilité humaine en apprenant à donner la patte.
– Perdu dans le blizzard c'est Rantanplan qui se retrouve avoir la patte prise dans un piège.
– Durant la dernière séquence de l'aventure LL et le caporal de la police montée obligent Rantanplan à trainer le traineau.


Il semble qu'alors que Rantanplan semble vouloir s'intégrer au monde des humains (il apprend à donner la patte), ceux ci ne cesse de le ravaler à son rôle d'animal. La tentative d'intégration de Rantanplan est perçue comme une transgression par les autres animaux qui ne lui pardonne pas de vouloir sortir de son rôle et qui se réjouissent des malheurs qui lui arrivent, à l'instar du cheval Jolly Jumper qui hilare commente son attelage au traineau d'un « ça lui fait du bien de faire un travail de cheval ».
Vis à vis du lecteur, dans le processus initiatique de la bande dessinée le chien Rantanplan peut incarner le désarroi du jeune enfant par rapport au monde des adultes dans il s'évertue à copier les rites sans en comprendre le sens.


Les nombreuses mésaventures subites par Rantanplan tout au long de la saga semblent provenir du fait qu'il se trouve en permanent décalage entre la conscience qu'il a de lui et l'identité que les autres lui renvoient. Décalage avec lequel les auteurs ne cessent de jouer. Les premières aventures mettant en scène Rantanplan tendent à montrer un chien se prenant pour un homme que les humains ne cessent de renvoyer à son statut animal.
Le premier épisode faisant intervenir Rantanplan « Sur la piste des Dalton » (1960) montre un Rantanplan au prise avec un décalage, alors qu'il flaire réellement la piste des Dalton les gardiens du pénitencier le tire brutalement par la laisse en lui disant que ce n'est pas le moment de jouer à flairer les arbres. A la fin de l'épisode c'est lui qui sauve la situation en rapportant aux Dalton la bombe qu’ils ont envoyé à Lucky Luke.
La fin de l'épisode lui prête une réplique qui pourrait bien être du philosophe Hobbes « Le meilleur ami de l'homme est un féroce gardien ».


L'épisode « Tortillas pour les Dalton » (1966) montre une fois de plus Rantanplan aux prise avec ses tentatives de réponses à un monde qu'il ne comprend pas. Quand on lui fait renifler les vêtements des Dalton il trouve que cela n'a aucun intérêt et s'en va tandis que les hommes le suivent le croyant sur une piste. Ayant vu le chien Rodriguez faire un tour d'adresse avec un sucre, il s'exerce à l'imiter et fini par y arriver en le remplaçant par un caillou. A l'instar de plusieurs autres situations mettant en scène Rantanplan dans son rapport au monde cette péripétie illustre le cas d'un personnage s'attachant à l'apparence d'un rite qu'il perçoit comme important mais dont il ne saisit pas le sens. A l'instar d'un enfant essayant d'imiter les gestes des adultes sans en comprendre le sens. Ce qui débouche sur de l'incompréhension. Le « comment fait il ça ? » de Rantanplan en voyant le chien Rodriguez faisant sauter un sucre sur sa truffe, débouchant sur un implicite « Pourquoi faire ça » quand il se retrouve avoir avalé un caillou.


A cette égard il semble que la fonction psychologique de Rantanplan dans la saga ne diffère pas trop de celle dévolu aux personnages canins dans les BD pour la jeunesse. A l'instar du cocker Bill de la saga Boule et Bill qui apparaît à la même époque Rantanplan incarne, aux côtés du héros, un enfant plus jeune au prise avec un monde extérieur qu'il ressent comme incompréhensible. Il semble néanmoins que la moquerie féroce déployé à l'égard de Rantanplan face de lui non pas un personnage destiné à des lecteurs plus jeunes mais servent à conforter le lecteur adolescent s'exerçant à la conquête du monde via l'identification au héros. La présence de Rantanplan aux côtés de Lucky Luke opérant là comme un repoussoir en permettant au lecteur par comparaison d'opéré vis à vis de Rantanplan une identification négative, du type je ne suis plus comme ça je suis grand.


Au début des années 70 les épisodes de la saga montre un Rantanplan en contradiction avec un statut de chien qu'il tente d'assumer et le fait que les humains tendent à le considérer comme un homme.
L'épisode « L'héritage de Rantanplan » est à cet égard particulièrement révélateur, en devenant l'héritier d'une fortune immense Rantanplan perd d'emblée son statut de chien ainsi qu'en témoigne l'attitude des employés du palace de Virginia City dont il hérite.


« L'héritage de Rantanplan » Pl. 10 4/1 :
Mr Livistock : « Jones ! Avez-vous dit à ce monsieur que les chiens.
Jones : Ce n'est pas un chien, Mr Livistock ! C'est le nouveau patron ! »


Tandis que, dans le même temps, Rantanplan ne cesse de revendiquer sa nature de chien, d'abord en cherchant à retrouver celui qu'il prend pour son maitre (Joe Dalton) et d'autre part en se référant sans cesse à son instinct. Instinct qui caractérise l'animalité en l'opposant à l'intelligence humaine.


A cette égard l'humanisation constaté du cheval Jolly Jumper durant la suite de saga s'effectue sur un mode où le cheval prend régulièrement soin de rappeler sa condition animal position qui lui permet de souligner son incontestable supériorité morale à la fois sur le chien qui se croit un homme.
« L'héritage de Rantanplan » Pl. 12 2/2 :
Jolly Jumper : « Crétin ! »


Et envers les hommes incapables de distinguer l'évidence quand un humain le vois se livrer à des activités typiquement humaines telles que pêcher à la ligne (« Ma Dalton ») ou jouer aux échec (« Jesse James »).

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le 20 août 2019

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