Les Enfants fichus
8.3
Les Enfants fichus

BD (divers) de Edward Gorey (1963)

Je ne sais pas trop de quoi on pourrait rapprocher les Enfants fichus. De ce que faisait Topor, à la rigueur.
C’est un abécédaire : vingt-six enfants. Pas des adolescents, grisés par le risque. Des enfants. Et vingt-six façons de mourir toujours laconiques (« U pour Una chutant sans plus laisser de trace »), parfois implicites (« T pour Titus surpris par la détonation »), toujours cruelles (« E pour Ernest gobant un noyau malvenu »). La dernière figure une table, sur laquelle est posée une grande bouteille de gin ; sur la chaise de droite, en chemise de nuit à fleurs, verre entre les mains, Zillah ; sur la chaise de gauche, en chemise de nuit blanche, une poupée à tête de mort. C’est bien de cela qu’il s’agit : des dînettes avec la mort.
Inégales mais toujours réussies, les gravures, qui constituant la moitié du livre ne sont pas des illustrations, font bien écho à ces épitaphes d’un genre particulier. J’ai particulièrement aimé les décors les plus austères, Ida, Una, et mon préféré, « N pour Norman frappé d’un ennui trop profond » – une muraille occupant tout le cadre, une branche morte en haut à gauche, une fenêtre d’où dépasse la moitié supérieure d’un visage d’enfant, Una. À l’exception de Kate et probablement de Winnie, les enfants n’y sont pas des cadavres : Edward Gorey montre l’instant d’avant. Souvent, la mort pourrait être évitée.
Et je n’ai pas tout de suite compris ce qui renforçait le malaise : aucun enfant, même quand sa mort est irrémédiable, ne crie. Ceux dont on voit la bouche ont la bouche fermée. Le malheureux Xerxes, « mangé par des souris en chasse », en chemise de nuit blanche, est agenouillé dans le coin d’une fosse – et de l’image –, l’air inquiet de voir cinq silhouettes de souris noires venir à sa rencontre. Quelques centimètres au-dessus de lui, la boucle d’une corde. Pas un nœud coulant, une boucle. Il pourrait l’atteindre en sautant. Mais il ne bouge pas.


PS. – Un petit regret : les éditions du Tripode ont songé à présenter Edward Gorey et les Gashlycrumb Tinies, mais pas à une version bilingue. Ça ne faisait pourtant que vingt-six phrases de plus, et ç’aurait pu éclairer le choix du traducteur de proposer vingt-six alexandrins à rimes plates, avec alternance entre rimes féminines et masculines. Dommage.

Alcofribas
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le 11 janv. 2019

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