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Les Revenants
7.1
Les Revenants

BD franco-belge de Olivier Morel et Mael (2013)

Dire que la guerre fait des ravages terribles, c’est évidemment enfoncer une porte ouverte. Mais on oublie souvent que la guerre détruit également ceux qui en reviennent vivants. Des milliers de soldats rentrent du front sans blessures physiques, mais avec des séquelles psychologiques bien plus destructrices encore. Cette réalité, on la découvre avec stupéfaction et effroi dans « Revenants », une BD choc sur les vétérans de la guerre en Irak. A la base, il s’agit d’un film documentaire (« L’âme en sang », produit par la société Zadig Productions) dans lequel Olivier Morel donne la parole à Kevin, Wendy, Ryan, Lisa, Vince ou Jason, des jeunes Américains qui sont tous revenus d’Irak avec des fantômes dans la tête et qui éprouvent énormément de difficultés à revenir à une vie normale. Dans « Revenants », Olivier Morel raconte les coulisses du tournage de ce documentaire. Son récit, à la fois passionnant et bouleversant car il nous montre que Morel lui-même a été fortement perturbé par les témoignages des Marines qu’il a rencontré, est magnifiquement mis en images par le dessinateur Maël. Avec une belle trouvaille graphique: alors que la majorité de l’album est en noir et blanc, les cases se teintent de rouge sang dès que surgissent les fantômes de l’Irak. De quoi donner un peu plus de force encore à des témoignages qui ne peuvent pas laisser indemne. En particulier celui du père de Jeff, un « revenant » qui a fini par se suicider car il était hanté par les fantômes des deux Irakiens sur lesquels ses supérieurs lui avaient ordonné de tirer à bout portant. Un souvenir tellement insupportable pour lui que ce grand gaillard avait besoin d’être bercé comme un bébé par son père avant d’enfin pouvoir trouver le sommeil. « Il y a 70.000 Jeff en puissance aujourd’hui aux Etats-Unis », s’indigne le père de Jeff devant la caméra d’Olivier Morel. « Chaque jour, 22 soldats et vétérans qui se donnent la mort… Et nous, les familles, les épouses, les maris, les fils et les filles de ces hommes et femmes, on crie dans le désert! Tout le monde s’en fout! » Lisa, une autre « revenante », s’indigne elle aussi, mais pas forcément pour les mêmes raisons. « La guerre est faite par un pour cent de la population – les plus pauvres! Et elle enrichit un autre pour cent: les plus riches! », hurle-t-elle, quelques instants avant de se faire tatouer sur l’épaule des « dog tags », les fameuses plaques d’identité portées par les soldats américains, afin de ne jamais oublier ce qu’elle a vécu à Abou Ghraib, l’ancien centre de torture de Saddam Hussein devenu le centre de torture des Américains. En parlant de tatouage, celui de Ryan est indéniablement une des images les plus parlantes du livre. D’ailleurs, Maël et Olivier Morel ont choisi d’inclure une vraie photo de ce tatouage dans leur BD, plutôt que de le redessiner. Sur le dos de Ryan, deux grandes mains dégoulinantes de sang sont entourées par le texte « Forgive me for I have sinned », c’est-à-dire « Pardonnez-moi car j’ai pêché ». Une image qui résume à elle seule l’énorme sentiment de culpabilité de ces « Revenants », dont la plupart s’en voudront à jamais d’avoir commis des atrocités en Irak en pensant défendre une cause juste. Avec « Revenants », Maël et Olivier Morel signent clairement une des BD les plus marquantes de l’année. Un récit très dur, parfois même insoutenable, mais absolument indispensable.
matvano
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le 1 nov. 2013

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