J'ai découvert Life alors que j'étais probablement trop jeune pour accueillir pleinement la brutalité de cette œuvre, mais à un moment où je pouvais me reconnaître dans Ayumu et où certaines émotions trouvaient chez moi un écho étonnement réconfortant.
Je n'ai lu que quelques tomes à l'époque et j'ai oublié. Les années ont passé et je me suis surprise à repenser parfois à cette série. Cette persistance m'a poussée à reprendre cette lecture avec un regard d'adulte, animée par la curiosité de confronter mes souvenirs à une appréciation plus mature de l’œuvre.
Les premiers chapitres sont brillants dans leur capacité à établir les fondements dramatiques de l'histoire tout en amorçant subtilement le cycle infernal des violences.
La suite se révèle impitoyable : une descente vertigineuse dans un univers oppressant qui semble ne jamais devoir s'arrêter. Quelques moments de répit ponctuent cette spirale, des pauses plus lumineuses qui apportent un souffle nécessaire mais qui demeurent éphémères et ne font qu'accentuer, par contraste, la lourdeur générale de l'atmosphère.
Le dessin de Keiko Suenobu est marquée d'une profonde charge émotionnelle. Ses traits se font parfois plus flous puis se transforment en griffures nerveuses qui transcrivent directement l'état psychologique des personnages. Cette approche organique et personnelle sert remarquablement le propos : le trait n'est jamais neutre, les aplats et les blancs sont toujours choisis avec soin.
L'autrice démontre un talent indéniable dans la construction de ses planches. Elle sait comment amplifier certaines émotions par des expressions faciales qui deviennent souvent grotesques dans leur intensité. Le masque tombe et le visage rond et brillant, typé shōjo se déforme pour devenir monstrueux. Elle ménage les temps morts avant de faire exploser la violence, qu'elle soit verbale, physique ou psychologique. Cette alternance entre retenue et débordement crée un rythme effréné qui permet d'enchaîner les chapitres et les volumes sans même s'en rendre compte.
Malgré certaines situations qui me sont apparues excessives, Life aborde la question du ijime avec une certaine finesse. L'œuvre décortique l'effet de groupe qui unit les participants dans une complicité silencieuse : ceux qui assistent aux violences sans intervenir, ceux qui préfèrent détourner le regard, et les rares individus qui tentent de s'opposer au système. L'autrice ne verse jamais dans la facilité. L'espoir quand il émerge, conduit souvent à des représailles plus cruelles encore au point où on se demande souvent si une issue heureuse est seulement possible.
Je regrette néanmoins certaines décisions de l'autrice. Elle abandonne parfois des pistes narratives sans les explorer jusqu'au bout, qui auraient pu amener d'avantage de profondeur et de complexité.
Par exemple, la question de la perversion et de la mort qui est souvent abordée aurait gagnée à être développée et paraît parfois être ignorée par pudeur.
De la même manière, plusieurs personnages secondaires auraient mérité un développement plus conséquent plutôt que de servir uniquement de catalyseurs pour faire progresser l'intrigue principale.
Life n'est pas un manga pour tout le monde. Sa lecture pourra être difficile pour certain, paraître absurde pour d'autres mais je suis convaincue que cette série peut constituer une ressource précieuse et cathartique.
Après tout, chaque nuit finit toujours par céder la place à un nouveau jour.