Tout n'est qu'une histoire d'apparences...

! Présence de spoils !

Daniel Park est un garçon enrobé, peu populaire, et pas forcément un génie non plus, qui change d'école après des années de harcèlement. Il arrive à Seoul, où la terrible vérité le rattrape : rien ne changera pour lui, car son problème vient de son apparence. Laid, petit, et gros, tels sont les mots qui décident de son destin de garçon condamné à une vie misérable, sans amis, sans amoureux.se, avec un travail minable qui ne lui plaira probablement pas (parce que l'apparence joue sur vos chances d'êtres embauchés voyons...). Mais à la veille de la rentrée, il se réveille dans un deuxième corps... Un deuxième corps, qui a pour particularité de rentrer dans les clous des canons de beauté ! Grand, beau, et musclé, il décide naturellement de refaire sa vie sous cette apparence digne d'un chanteur de K-Pop, en se servant de l'autre corps pour gagner des sous en travaillant dans une supérette.

Le webtoon porte bien son nom. Le titre décrit entièrement l'oeuvre, récit amer sur le pouvoir des apparences dans la société (ici plus particulièrement sud coréenne).
A travers les différentes péripéties de Daniel, l'auteur dépeint une jeunesse aliénée par des canons de beauté qui créent complexes et jalousies, une société rejetant les plus en marges sous prétexte d'une pseudo légitimité, et de manière générale les jugements hâtifs que l'on peut avoir en se basant uniquement sur l'apparence.
Mais elle apporte aussi une véritable critique de la célébrité, et de l'industrie du divertissement, et plus particulièrement de la musique et du mannequinat. Ici, l'auteur balaie tout avec un regard dur, des patrons cupides, aux collègues avides de célébrités prêts à tous les coups bas, et aux fans excessifs qui pourrissent le noms de leurs artistes favoris par leurs obsessions. Ce thème n'est pas innocent, puisque l'auteur de Lookism n'est ni plus ni moins un ancien membre d'un boys band de K-Pop, et un mannequin. Qui de mieux placé pour critiquer la course à la popularité dans ces industries qu'un concerné ?
Et toujours, le jeu des apparences qui planent... Daniel apprend vite que selon chaque personne, la simple image qu'il renvoie modifiera inévitablement le traitement qu'on lui donnera... Ainsi, dans son corps de bel homme, il aura les faveurs de ses camarades féminins, l'amitié et l'admiration des masculins, on le prendra toujours plus au sérieux, et chacune de ses prouesses sera amplifiée... Alors qu'avec sa véritable apparence, il sera vu comme un pervers, un obsédé par les filles juste en posant son regard sur elles, les autres garçons se moqueront de lui, et se conforteront de leur cas en faisant ramper Daniel toujours plus bas que terre pour se sentir supérieurs, et ses efforts, pourvu qu'ils se soldent d'un succès, seront toujours taxés de "coup de chance".

Outre ses deux thèmes principaux, l'apparence et la popularité, Lookism tire sa principale force de ses personnages, leurs problématiques, et leurs caractères.
Il y a bien évidemment le protagoniste, Daniel Park, garçon maladroit, timide, en pleine crise d'adolescence, souffrant du regard qu'on lui porte juste à cause de son apparence. De sa rancœur, qu'il ne peut crier qu'à sa mère, il tirera finalement sa force pour évoluer tout au long de l'histoire, et comprendre que sa mère n'a jamais été coupable de ses malheurs, et qu'il ne peut compter que sur lui-même pour réussir.
Ensuite, on retiendra le tempétueux Zack, ancien boxeur, garçon un brin mal élevé, qui ne vit que pour impressionner Mira, son amie d'enfance, et celle qu'il aime. Obsédé par l'idée de lui apparaître comme parfait, il apprend à mépriser tous ceux qui se mettraient sur son chemin. Son évolution est encore à ses débuts, mais sa rencontre avec le protagoniste lui permettra de revoir ses jugements premiers.
Vient Jay, le fils de riche classique, si ce n'est qu'il est complètement muet, facilement angoissé, et un brin trop gentil. Véritable béquille de Daniel dès la rentrée, il semble lui vouer une certaine affection... Outre son aspect comique, celui du maladroit toujours là pour aider (même de manière un peu déplacée), on apprend aussi à l'aimer pour son côté un brin pathétique, celui du garçon trop timide pour demander à être l'ami de quelqu'un, et qui se laisserait lui-même tomber pour aider un autre.
Le quatrième personnage mémorable est Vasco, chef d'une bande de voyous : les Burn Knuckles. Sous cette masse de muscle, ce regard de feu, et ce charisme détonnant, se cache le personnage le plus doux et sensible du webtoon. Loin d'être ridicule pourtant, c'est un personnage qui se détache, car étant le seul à considérer Daniel de manière inverse en fonction de son corps. Il méprisera celui qui est beau, puissant et respecté, car méprisant les personnes qui abusent de cette belle apparence, mais se liera automatiquement d'affection pour celui qui est considéré comme laid. Amoureux de la justice, défenseur des plus faibles, Vasco a tout d'un héros. Malgré son côté "gap moe" (c'est à dire le fait qu'il y ait un contraste entre son apparence globale, et certains de ses comportements), jamais je ne l'ai trouvé ridicule. Au contraire, c'est le personnage le plus honnête du Webtoon, celui qui aime les chiens, agit parfois comme un gamin, mais tient toujours sa parole. Ses convictions à elles seules forcent le respect, et son côté parfois attendrissant et maladroit ne le rend que plus humains à nos yeux, en l'éloignant du sacro-saint héros auquel on ne peut ressembler.

Les personnes féminins sont très peu présents dans le Webtoon, mais si on devait en retenir deux, les deux d'ailleurs qui marquent vraiment l'esprit, se seraient Crystal, et la mère de Daniel.
Crystal est une personnage apparaissant beaucoup plus tard dans l'histoire. Laide, petite et rondelette, les filles se moquent d'elles, et les garçons l'ignorent. Ceci sans savoir qu'elle est en possession d'un deuxième corps, comme Daniel, qui lui a appris à mépriser les humains de pas leur tendance à toujours juger par la couverture. Tombant amoureuse du Daniel "laid" par hasard, touchée par son grand coeur, et peu influencée par son apparence du fait de sa propre situation, et méprisant le Daniel "beau", elle apprendra à les connaître, et à peu à peu se rendre compte que peut être qu'elle n'est pas la seule à avoir deux corps... C'est une personnage très intéressante, qui a donné un vrai coup de boost à l'histoire. On ne peut que l'adorer, de par son fort caractère, et sa capacité à se débrouiller seule.
La dernière, et pas des moindres, est la mère de Daniel. Femme pauvre enchaînant des petits boulots, mais se donnant à fond pour son fils, elle précipite aussi la prise de conscience du héros, qui a trop longtemps nié les efforts de sa mère pour lui offrir un toit et des études au prix de sa santé. Cette figure maternelle forte, est aussi un élément très important du développement du héros pour s'accepter tel qu'il est, et l'encourager à se battre contre le regard qu'on lui porte de par son apparence.

L'histoire se base énormément sur le "double jeu" de Daniel, entre ses deux corps, et les interactions entre "ses deux lui", et les personnages autour de chaque petites intrigues. L'histoire est surtout celle de la prise de conscience de Daniel, pour qu'il apprenne à faire ses armes, et de pourquoi l'apparence est un critère absurde pour considérer les gens.
Le tout est accompagné de magnifiques dessins, dans des couleurs assez sombres de manière générales, qui s'adaptent aussi dans leur diversité et leur luminosité au Daniel mis en scène. Ce jeu des couleurs et des lumières est très bien mené, dans la mesure où au fil des chapitres, le Daniel "laid", toujours dans son univers monochrome, toujours perdu dans la nuit, verra son entourage s'illuminer. Au contraire, dès que la situation s'aggrave, ou retombe, les couleurs s'appauvrissent et s'assombrissent, donnant une impression de lourdeur.
On pourra reprocher certaines mini-intrigues qui ne servent qu'à combler des trous, ou au fan-service, même si certaines sont plutôt agréables. Autant, l'anniversaire de Vasco est un petit morceau de pur bonheur, qui met à jour les relations entre les personnages, et permet de renouer des liens entre le lecteurs et les éléments de l'intrigue, autant la journée au parc d'attraction n'a pour intérêt qu'un peu plus de Jay toujours plus paumé, et toujours plus attaché à Daniel (du magnifique queer-bait, qui crie au "Regardez, vous trouvez pas que Jay aime un peu trop Daniel pour que ce soit de l'amitié ?", et juste pour le fanservice).

Mais la question... La grande question... N'est ce pas d’où vient le deuxième corps de Daniel ?
Et bien oui, car ce qui m'a fait vraiment aimer Lookism, c'est que cette deuxième apparence n'apparaît pas de nul part, juste pour avoir une raison d'aborder le sujet de la considération d'un individu en fonction de son apparence. Et peu à peu, cette question qui était retombée remonte à la surface...
Je ne peux pas en dire plus, car, là où on en est (chapitre 176), les explications commencent tout juste à tomber au compte-gouttes.

Ce que je peux dire, c'est que ce Webtoon n'abuse pas d'éléments surnaturels sans explications. sans pour autant en devenir lourd à vouloir tout développer, l'auteur donne beaucoup de détails intéressants. L'histoire avance de manière relativement rapide, sans nous perdre pour autant.
Le travail est remarquable dans cette façon de donner des informations sans trop ralentir l'intrigue, ni perdre les lecteurs...

Bon, après tout ça, même si vous avez déjà dû le remarquer avant, le webtoon manque cruellement de personnages féminins. Et plus que de personnages féminins, des personnages féminins développés, et pas réduits à leurs seins et leur vagin. Car les seuls personnages se détachant de cette définition sont actuellement Crystal et la mère de Daniel. Les autres souffrent d'un sexisme lattant, entre une fragilité débilisante, un rôle auxiliaire de "mère" toujours à cuisiner ou à faire du shopping, un côté hyper sexualisé, et un manque total de caractère.
Si vous avez lu le Webtoon, vous vous étonnez peut être que je n'ai pas parlé en détail de Mira ou Zoé, mais les raisons sont simples : se sont des personnages fades, qui ne sont là que pour du fanservice et faire avancer une intrigue amoureuse. Aimez-vous Mira ? Non, et même si vous ne la détestez pas, vous savez vous-même qu'elle ne sert à rien, à part pleurer et faire "des trucs de fille", dans une superficialité totalement assumée. Quant à Zoé, elle est tellement débile que quand bien même on peut l'aimer, on a surtout envie de l’assommer.
Et le principal problème de Lookism, c'est bien cela... L'auteur critique la superficialité de la société, mais que très peu du côté des filles, chez lesquelles il laisse supposer qu'il est "normal" d'être aussi idiotes et portées sur le jugement. A voir si plus tard il développe tout ça...?

Enfin, malgré les points négatifs plus haut, Lookism est un très bon Webtoon. Imparfait, certes, mais intelligent et sensible sur la manière dont nous voyons et jugeons nos semblables. Peut être que vous vous reconnaitrez un moment, parmi un des personnages... Par qu'au final, on a aussi notre rôle à jouer.