Lucky Luke fait all in en tant que Shérif!

Premier méchant aussi développé par Morris (deux histoires séparées mais liées), le créateur de Lucky Luke signe avec Pat Poker son premier album complet et semble trouver la mesure de son personnage fétiche.
Lucky Luke est d'ailleurs exceptionnel dans la première histoire "Nettoyage à Red-City". Fait très rare par la suite de la saga, il accepte un emploi de shérif dans un patelin aux mains des malfrats locaux. Mieux, il se fera passer pour "un greenhorn", "un mi-portion", en habit rose à fleurs comme un gamin, avec cheval en bois et sucette. Cette capacité à tromper son monde pour bénéficier de l'effet de surprise au moment idoine est mûrement réfléchi. Une vraie prise de risque payante de Morris, qu'on verra un peu moins chez le Lucky Luke de Goscinny il faut bien le dire. Un tel Lucky Luke paru en plein âge d'or aurait été vu comme du génie.

Plein de petites choses intéressantes à noter:
- plus les aventures avanceront, plus il sera Lonesome cowboy, étant plutôt bras droit de luxe des officiels, qu'endossant directement la responsabilité.
- Planche 8 : Lucky Luke tue un putois à bout portant qui gît au milieu de la rue sur une planche complète ! Phénomène très rare par la suite que de voir un être vivant se prendre un "pruneau" sans sourciller.
- le rapport de soumission d'Angel Face vis à vis de Pat Poker (planche 32) alors qu'il est bien meilleur tireur et tout aussi méchant mais n'a pas la stratégie de PP. Une telle association, temporaire et intéressé de malfrats, se retrouvera bien plus tard dans L'Escorte.
- des dialogues qui prennent parfois la forme d'enchainements de Punchlines que de vrais dialogues. Histoire 2, Planche 28 :

• LL : Maintenant, donne-moi à boire !


• PP : Pas la peine Lucky Luke ! Là où je vais t'expédier, tu n'auras plus rien à craindre de la soif...


• LL : Pat Poker !


• PP : En personne ! Comme le monde est petit pas vrai?...Nous revoici face à face...mais cette fois, c'est moi qui tiens les belles cartes...tu sortiras d'ici tout froid et farci de plomb!...

A noter l'excellent épisode du dessin animé Pat Poker qui donne une carrure à la bande de Pat Poker (plutôt vue comme un loup solitaire dans l'album), mixe habillement les deux histoires en une, tout en reprenant les phrases cultes de l'album (planche 14) :

Pat Poker : Passe moi la Winchester...la Winchester !

Ajoutons à cela une vraie ambiance tout au long de l'album, une tension et une fin de la deuxième histoire dantesque (longue poursuite) et on a un album majeur de la saga, trop précurseur et ancien pour jouir de la même reconnaissance que les plus connus de Goscinny.

Un poil dommage que la fin de la première histoire soit trop bâclée et que le début de la deuxième manque de panache.

Morris est définitivement lancé et se montre très inspiré avant de sortir un autre méchant du même niveau avec Phil Defer. S'en suivra une coopération avec Goscinny sur près de 50 albums communs qui donnera à Lucky Luke le destin que l'on connait et sa galerie de méchants puisée dans l'imaginaire des légendes de l'Ouest.