Hop oublions vite la période Gerra. Quoi elle a existé ? C'est le duo d'écrivains Pennac Benacquista qui prend le relais, avec toujours Achdé au dessin.
Ils s'attaquent au super shérif Allan Pinkerton, bras droit du renseignement sous Lincoln, qui dès le début de l'album compte mettre Lucky Luke à la retraite (planches 8, 9 et 10) :
Je suis [...] votre successeur. Vous êtes une légende du passé Lucky Luke. [...] Terminé les bureaux miteux, les shérifs sans moyens, les enquêtes bâclées...ici, vous entrez dans l'ère moderne de la lutte contre le crime.
L'idée est super, tout du moins sur le papier. On passe dans une nouvelle ère, celle de la surveillance, en somme de l'administration policière. Parce que les bandits auraient changé aussi. Pinkerton envoie donc également les Dalton à la retraite, planche 37
Vous êtes dépassé, Joe, avec vos petits hold-up à trois sous...vous ne valez plus rien sur le marché de la racaille. L'heure est au crime organisé, à l'extorsion de fonds, aux trafics internationaux.
Avec une critique sous-jacente, très contemporaine, des excès du fichage et des abus de pouvoir que cela confère à l'administration ainsi que de la surpopulation carcérale, le récit des deux auteurs donne à réfléchir comme Lucky Luke nous avait habitué par le passé. L'humour est passable, les personnages relativement consistants et le dessin d'Achdé comme d'habitude très correct.
Alors tout va bien ?
Non, car le tome a de nombreux défauts, dont deux majeurs :
-> L'album fait état d'un anachronisme terrible. Se situant en plein complot de Baltimore, soit 1861, l'album serait un des premiers des aventures de Lucky Luke, or le cow-boy solitaire serait déjà la plus grande légende de l'Ouest. Légende qu'il s'est bâtie courant des années 60 à 80, plutôt sous la présidence Grant. De même, la rencontre avec les Dalton est postérieure à 1861 et manifestement les Dalton connaissent très bien Luke dans cet album.
-> L'épisode du complot de Baltimore où Pinkerton est chargé de déjouer l'attentat potentiel envers Abraham Lincoln ne sert absolument à rien alors qu'il fait l'objet d'un traitement unique des planches 12 à 22. Cela donne une nouvelle fois l'impression que le récit se construit autour de références que les auteurs voulaient à tout prix caser et non pas construire un récit d'abord et glisser des clins d’œil et références subtils ça et là.
Le scénario est donc fait de bric et de broc, c'est très dommage car l'album recèle de bonnes idées. Il trahit assez bien l'univers en y mettant un tantinet plus de peps et c'était souhaitable, car comme le dit Damasio dans la préface de l'adaptation BD de La horde du contrevent : "on ne juge pas la valeur d'une adaptation à la fidélité au support original, on la juge à la qualité de sa trahison". Mais bien trahir débute par respecter quelques cohérences historiques...