Avis sur les 4 premiers tomes de la série de Kentarô Satô. Quelques spoilers sont présents.


Unhappy Young Girls


Le point de départ est à la fois simple et cruel : prenez des jeunes filles (12-14 ans). Elles ont un point commun : elles sont malheureuses. Mais vraiment malheureuses, le genre qui donne envie de se suicider. Une fois que vous avez cela en tête, poussez le bouchon aussi loin que possible du point de vue physique et psychologique et, au moment où ça doit normalement péter, tadam, nos jeunes filles sont contactées par une administratrice d’un site que vous ne trouverez pas sur le net : Magical Girl Site (MGS).


En dépit de son apparence un peu étrange (on dirait une déformation du réel par rapport au design des autres personnages), elle tient un discours assez séduisant : que dirais-tu de recevoir une baguette magique (dont le pouvoir n’est pas sans lien avec ce que nos héroïnes ont subi) ? Avec elle tu vas pouvoir te venger ! Faire du mal à ceux qui t’ont fait du mal. Œil pour œil…


No Pain No Gain


En somme, les magical girls ont dû en baver pour obtenir leur baguette. Souffrir pour pouvoir guérir ? Pas vraiment car, si un grand pouvoir implique de grandes responsabilités, dans Magical Girl Site, un grand pouvoir implique aussi des dégâts pour la santé. Utiliser sa baguette pour se venger au détriment de son espérance de vie : c’est l’équation (simple) à laquelle nos magical girls doivent répondre. Du moins au début.


Comme dans toute bonne histoire made in Kentarô Satô, il faut quelques ingrédients en plus pour relever tout cela : la Tempest ! Pour ne pas trop spoiler, un truc pas très sympa’ attend le monde (entier ?) d’ici un petit mois. L’avantage des magical girls c’est qu’elles le savent. Leur inconvénient : a priori la Tempest ne peut pas être empêchée et être une magical girl n’est pas une condition suffisante pour sortir en un seul morceau.


You’ll never walk alone


Des jeunes filles marquées par la vie, dotées de pouvoir à utiliser avec précaution mais qui ont une vilaine épée de Damoclès au-dessus de la tête. Un tel cadre peut favoriser le « chacun pour soi », encouragé, du reste et à leur manière, par les administratrices car, comme vous pourrez vous en rendre compte elles sont promptes à exploiter les faiblesses des magical girls et elles ne sont pas toujours bienveillantes.


Mais un tel cadre peut aussi favoriser l’union. On va le voir en deux temps dans MGS. D’abord du côté de l’héroïne : Aya Asagiri. Pas gâtée par le sort (elle se fait tabasser à l’école et sert de punching-ball à son grand-frère à la maison car il doit évacuer toute la pression et le stress liés à son entrée à Todai), isolée malgré quelques mots échangés avec son camarade de classe, Hinomoto (réflexe : il faut se méfier des tous gentils avec Kentarô Satô !), Aya va évoluer au fil des tomes en étant i) capable de se faire une véritable amie (Tsuyuno Yatsumura – elle aussi a une histoire assez affreuse), qui la protègera et qu’elle protègera ; ii) elle verbalisera son mal-être, dira ce qu’elle pense à celle qui lui a fait du mal ; iii) mais il reste encore le cas du grand-frère à régler.


Dans un second temps, un groupe plus conséquent de magical girls va se former pour résister. Je n’irai pas plus loin pour ne pas révéler plus d’éléments.


Kentarô Satô a encore frappé


Par certains thèmes mis en avant et « grossis » pour mieux les dénoncer, Kentarô Satô me fait penser à Hiroya Oku (Gantz, Last Hero Inuyashiki). Il dépeint une société où les apparences sont trompeuses, où beaucoup de douleurs restent muettes, où ceux qui s’écartent trop des normes (car timides, se « déguise » en fille…) sont rapidement cataloguées et maltraitées. Les secours fournis sont rares.


Mais le constat ne s’arrête pas là : le monde des idoles est aussi égratigné au passage avec Nijimin et son groupe de « chiennes » des Play Dogs où tout est bon pour que les fans casquent pour acheter les produits dérivés… même s’il faut s’endetter et voire sa vie réduite à une passion dévorante (cf. le cas du fan obsessionnel). On pourrait aussi parler de la compétition scolaire symbolisée par le frère de Aya avec toutes ses retombées négatives (stress, dévalorisation des autres, violence…). Les parents sont plutôt absents de la série (on voit quand même un peu ceux de Aya), comme hors course par rapport à ce qui va se passer. Les jeunes filles se débrouillent seules.


Tout cela est mis en musique de belle manière. Mêler violence, humour, trash ne pose aucun problème à Kentarô Satô et cela se ressent dans le dessin : on passe en quelques cases, d’une ambiance drôle, kawaï, à quelque chose de sombre, malsain (déformation des visages, noirceur, gestes, tics…). Les couvertures nous font elles aussi passer par différents sentiments (et on peut voir quelques baguettes sur le côté) et le travail d’édition et de traduction de Akata est très bon (on peut repérer quelques rares coquilles : tome 2, p. 73, « T’es en train de me dire… » ; tome 3, page 140 « Je suis une amie de classe… » ; tome 4, p. 108 : « C’est pas la cour des miracles ici… »).


Dans l’ombre des jeunes filles en fleurs


S’il faut se convaincre que les magical girls ne sont pas quelque chose de tout mignon tout girly avec des super-pouvoirs trop jolis, du rose et des rubans partout, Magical Girl Site se pose là. Le titre n’est pas dans la collection WTF ?! de Akata et cela se comprend. La série apparaît plus grinçante que Magical Girl of the End et s’aventurant au-delà du thème des magical girls. Le savant mélange d’humour (la baguette de Nijimin…), de passages brutaux qui nous mettent mal à l’aise et de dénonciation confèrent toute sa couleur à Magical Girl Site. Une couleur bien plus sombre qu’on ne pourrait le penser à première vue. Lecture décapante !

Anvil
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le 22 avr. 2016

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