Imprimez la légende !

Médée est l'un de mes mythes préférés, j'adore ce personnage et donc lorsque je tombe sur cette BD en librairie, malgré les dessins qui font vraiment petite fille sage et qui ne sont pas follement originaux, je me l'achète.

En fait cette réécriture du mythe de Médée a trois particularités, la première c'est de vouloir absolument tout raconter, là où les tragédies s'intéressaient qu'à une partie de sa vie, notamment celui où elle tue ses enfants. La deuxième c'est de vouloir ancré cette histoire dans quelque chose de plus réaliste et là ça me laisse assez dubitatif, j'y reviendrai. La troisième c'est d'essayer de trouver des excuses à Médée, à ses agissements ce qui en quelque sorte trahi son personnage et la diminue.

Disons que les auteurs n'ont pas voulu faire de Médée la sorcière qu'elle est dans la mythologie et ce traitement là la rend finalement beaucoup plus banale et inintéressante. Si on enlève le fait qu'elle est capable de tuer froidement son frère et ses enfants et qu'on la transforme en sorte d'héroïne moderne, beaucoup moins ambigüe qu'il n'y parait, ben son personnage n'a plus réellement de raison d'être. Ici elle n'est ni particulièrement touchante en tant que femme blessée dans son orgueil, comme elle l'était chez Anouilh, elle n'est pas terrifiante, elle n'est plus rien.

Les auteurs ont choisi d'imprimer l'histoire vraie (enfin façon de parler) plutôt que la légende, qui est d'ailleurs largement évoquée avec des appels du pied pas du tout subtil, ce qui donne un aspect méta à la BD plutôt malvenu. Or il fallait imprimer la légende si tu n'es pas capable de faire quelque chose d'original avec ta simple femme qui est prise par tous pour une sorcière.

Je ne comprends pas l'intérêt de désacraliser la mythologie grecque, où les centaures ne sont plus que des bons cavaliers par exemple, d'enlever un maximum de surnaturel, pour finir sur une île magique où le temps ne s'écoule plus. Il y a un vrai problème de cohérence là-dedans.

Après ce n'est pas mauvais pour autant, c'est bien rythmé, l'histoire est toujours intéressante à suivre parce que c'est le mythe de Médée, mais dès qu'il s'écarte un peu, j'ai l'impression que ça n'apporte rien, que ça cherche à diminuer, à atténuer le personnage... Pas sûr que ça soit lui rendre hommage... Et en fait ça en fait juste un personnage féminin banal, écrit par une féministe, où tout le relief a été gommé sur une sorte de l'autel du politiquement correct afin que les petites filles puissent s'identifier à une Médée indépendante, libre, ce que l'on a déjà vu mille fois dans mille œuvres de fictions.

Je ne vois pas l'intérêt de faire ça de Médée, de la transformer en une gamine curieuse, libre.

Je n'aime pas spécialement non plus la nécessité de toujours tout expliciter par des dialogues. Lorsqu'elle rencontre Jason c'est tout juste s'il n'y a pas une narration interne qui dit qu'elle mouille. Montre le. T'es dans un art graphique. Montre... Ne nous dis pas. Mais ça va nécessiter une science du cadrage, du découpage un poil plus ambitieuse que ne l'est cet album.

En somme c'est bien et sympathique car c'est Médée, mais c'est quand même décevant car ce n'est plus réellement Médée.
Autant relire Euripide, Sénèque, Corneille... Anouilh ou revoir le Pasolini.