Cherchez l'ennemi !

Un épisode que des souvenirs me rende sympathique mais qui ne constitue pas le meilleurs opus de la série. Si aujourd'hui j'y reviens c'est qu'historiquement il révèle comment durant les années 50, la BD Franco Belge a peiner en pleine guerre froide à proposer un ennemi à la fois crédible pour son lectorat et acceptable par la censure.

Un contexte délicat à évoquer

Si la tension entre les deux blocs de l'est et de l'ouest constitue une réalité des relations internationales depuis la fin des années 40, il semble que la guerre froide peine à émerger en tant que sujet dans les récits dessinés de la décennie 50.

La représentation de la guerre froide à travers les récits, apparaît malgré ce qu'ont pu en dire plusieurs exégètes à la fois discontinue et allusive au point qu'on pourrait, avec une pointe de provocation, suggérer qu'elle apparaît dans les récits à la manière d'un fantôme dont on ressent la présence sans jamais réellement l'apercevoir.

En effet, si elle constitue une réalité de plus en plus prégnante sur le plan de la politique nationale et internationale, son statut de conflit larvé qui menace en permanence mais n'éclate pas au grand jours tend à en faire un non événement permanent dont la représentation graphique n'est pas sans poser différents problèmes à la fois sur le plan créatif et sur le plan éditorial.

Soucieux de ne pas heurter un lectorat éventuellement sensible aux tensions politiques auteurs et éditeurs s'attachent également à se concilier les bonnes grâces d'une commission de censure qui n'hésite pas à interdire de publication en France des récits évoquant de manière trop flagrante l'actualité, comme dans le cas du dyptique des aventures de Buck Danny consacré à la guerre de Corée (1953-54 « Ciel de Corée », « Avions sans pilote ») dont la publication en album est interdite en France, le scénariste JM Charlier se trouvant en outre sommé de modifier le scénario de la suite des aventures de ses héros sous peine de voir la revue porteuse, Spirou, interdite .

Cherchez l'ennemi !

Associé au péril d'une apocalypse nucléaire et s'intégrant dans la reconstitution d'une vision manichéenne du monde, la guerre froide semble apparaître aussi incontournable que difficile à traiter pour les créateurs. Difficultés qui découlent, semble t-il d'abord de l'impossibilité à désigner un véritable ennemi. Au cours des années 50, l'URSS continue à bénéficier du prestige attaché à son statut de vainqueur de 1945 tandis que la réconciliation avec l'ancien ennemi allemand peine à s'imposer ainsi qu'en témoigne, entre 1952 et 54, l'âpreté des débats autour de la CED où l'idée du réarmement allemand fait scandale et qui provoque une réactivation des clichés antigermaniques dans la caricature de presse .

Après l'interdiction de vente en France des albums de son diptyque « Ciel de Corée » « Avions sans pilote » les aventures de l'aviateur Buck Danny entre 1954 et 1956 confrontent le héros à des ennemis faiblement identifiables et dépourvus de références avec la réalité politique du moment dans des aventures qui s'assimilent à des plongées temporelles.

L'épisode « NC-22654 ne répond plus » (1955) met en scène les 3 aviateurs qui pour faire échec à des pirates de l'air, qui abattent les avions pour s'emparer des richesses qu'ils transportent, acceptent de piloter un quadrimoteur de transport pour le grand nord. L'épisode ressemble à une chasse au trésor, avec une logique de retour en arrière temporel semblable à celui mise en place dans l'épisode précédent, « Patrouille à l'aube » (1954-55) qui mettait au prise les héros avec un ancien commandant de sous-marin nazi cherchant à récupérer des trésors enfouis au fond de l'océan. Dans les deux cas l'action des méchants s'assimile à une chasse au trésor et ne comporte aucune allusion idéologique. Dans les deux cas l'aventure s'effectue dans des zones (le grand nord, une ile déserte du pacifique sud) qui apparaissent comme des non-espaces et impliquent des ennemis qui ne s'identifient à aucun des deux camps de la guerre froide. La chasse au trésor correspond également à un retour vers le temps passé de la deuxième guerre mondiale, les pirates du ciel et de la mer emploient des avions datant de 1940-45 (chasseur Mustang, DC 3 , Grumman ''Avenger'' et hydravion catalina ) qui contraste avec les jets utilisés par les héros au début des aventures.