Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, qui n'appelle pas de suite. Il regroupe les 5 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2021, écrits par Mark Russell, dessinés et encrés par Mike Deodato, avec une mise en couleurs de Lee Loughridge. Il contient les couvertures réalisées par Rahzzah, ainsi que les couvertures variantes de Mike Deodato (*1), Leila Leiz (*1), et une postface du scénariste sur son inspiration, ainsi qu'une de l'artiste sur ses inquiétudes à réaliser un tel type d'histoire.


En 2056, la race humaine a tellement massacré l'environnement qu'elle est reléguée à vivre dans des métropoles mises sous cloches, comme Bulle Atlanta, et les robots ont pris le contrôle des opérations. Ils sont doués d'une forme de conscience. Ils ont remplacé les humains dans tous les métiers, sauf coiffeur. Chaque cellule familiale s'est vu attribuer un robot de forme anthropoïde avec bras, jambes, tronc et tête, mais d'apparence très mécanique. Ce robot va au travail et son salaire sert à faire vivre le ménage et les enfants s'il y en a. Les entreprises qui fabriquent les robots sont en train de finaliser leur recherche sur la conception d'androïdes, des robots avec un corps similaire à celui d'un être humain. Ce soir-là, à l'émission de débat Talkin' Bot, le robot animateur reçoit un autre robot et Megan, une humaine. le thème du débat : est-ce que l'obsolescence humaine est une bonne chose ? le robot invité Slice-a-tron expose les faits : le comportement humain est erratique et dicté par des émotions. Les humains sont fainéants et grâce au travail du robot dans chaque foyer, ils peuvent se relaxer, ce qui semble être leur spécialité. Megan oppose le fait que la révolution robotique était sensée libérer les humains, mais que dans la réalité le contrôle de leur vie leur échappe toujours plus. le robot invité répond que la gestion des affaires humaines par les robots a permis d'améliorer la situation sur tous les plans.


Dans leur salon, autour de la table la famille Walkers s'apprêtent à manger, tout en commentant le débat. le père Donny commence par rendre grâce à Dieu, puis il remercie Razorball, leur robot, dont le salaire a permis qu'ils aient à manger. La fille adolescente Cora fait remarquer que c'est déjà assez pénible de vivre dans la même maison que ce robot, qu'elle ne va pas en plus le remercier. le fils adolescent Sven dit qu'il a l'impression que le robot le regarde comme s'il était un robinet qui fuit. La mère Cheryl ajoute qu'il fait peur à rentrer en coup de vent, puis à aller s'enfermer dans son atelier au garage toute la nuit, sans qu'on sache ce qu'il y fait. Elle demande à son mari ce qu'il pense qu'il y fait. Donny coupe court à cette conversation car Razorball rentre du boulot. Il lui demande si sa journée a été bonne : Razorball répond que non, comme d'habitude. La réponse est toujours non. Donny lui demande s'il veut qu'il lui prépare un bain d'huile chaud. le robot lui demande de le laisser tranquille, que c'est tout ce qu'il veut. Et il va s'enfermer au garage pour se livrer à son occupation solitaire.


Le lecteur qui suit la carrière de Mark Russell situe rapidement la nature du récit : appartenant au genre science-fiction, et évoquant une situation sociale toxique, comme il avait pu le faire dans Billionaire Island (2020) avec Steve Pugh. le scénariste sait poser les bases de cette société du futur en quelques pages : désastres écologiques, êtres humains obligés de vivre dans des mégapoles mises sous cloche, et omniprésence des robots qui sont devenus 99,99% de la force de travail, les humains dépendant d'eux pour leur subsistance, gîte et couvert. Russell ne s'attarde pas trop sur le principe de fonctionnement de l'intelligence artificielle des robots : pas de lois de la robotique comme chez Isaac Asimov (1920-1992), pas de théorie sur l'intelligence artificielle, juste des êtres mécaniques avec des capacités professionnelles, une logique mathématique, et une forme de conscience d'eux-mêmes, avec un processeur d'empathie à l'amplitude limitée. Cela génère un sentiment de frustration chez les robots qui travaillent pour des humains qui se tournent les pouces, qui sont moins efficients qu'eux, et qui ont laissé la Terre dans un état de délabrement avancé. Il a fallu que ce soient eux, les robots, qui reprennent les choses en main pour préserver ce qui pouvait encore l'être, pour assurer l'intendance permettant aux humains de vivre, en leur assurant leurs besoins primaires. Cela génère un sentiment de ressentiment chez certains humains, en état de dépendance, ne servant plus à rien, dépossédés de leur capacité à décider par eux-mêmes.


Le lecteur ressent pleinement ce malaise partagé, ce ressentiment mutuel non exprimé, la pression du travail qui pèse sur les robots, sans parler des accidents qui peuvent se produire quand un robot blesse ou tue un humain ou plusieurs par inadvertance quand il se produit un bug. La tension monte entre les deux communautés, même s'il reste des individus des deux camps qui croient en une cohabitation pacifique et mutuellement profitable… sauf que certaines usines commencent déjà à produire une version améliorée de robots, avec une allure totalement humaine, et un microprocesseur empathique plus performant. Dans la postface, l'artiste explique que ce récit représentait un défi pour lui pour deux raisons : représenter des robots d'allure mécanique et parvenir à trouver un langage corporel un tant soit peu expressif, mettre en scène une comédie satirique qui est également une critique sociale. Même un dessinateur aussi chevronné que lui a eu besoin des encouragements de son responsable éditorial pour avoir assez confiance en lui. Quand il entame l'ouvrage, le lecteur ne ressent pas du tout cette inquiétude. Il retrouve les dessins proches d'un photoréalisme de Deodato, avec un haut niveau de détails, des trames mécanographiées qui apportent des textures et augmentent le relief, des séparations en case parfois arbitraire, plus pour l'allure générale que pour la narration. Il admire toujours autant son usage des ombrages pour accentuer le relief, dramatiser certains éclairages à bon escient, sans systématisme.


L'artiste a très bien réussi à donner un minimum d'expressivité aux robots, sans aucun trait de visage, simplement avec des postures cohérentes avec les articulations de leur corps. du coup, ces masses métalliques ne sont pas que des objets, mais sans être humanisées, ce qui est parfaitement en phase avec la forme d'intelligence que leur a attribuée le scénariste. le contraste est d'autant plus grand avec la nouvelle génération de robot, plutôt des androïdes à l'apparence exactement identique à celle d'un être humain. D'un autre côté, quand le lecteur assiste à un défilé de robots mécaniques, il reçoit avec force la menace constituée par cette foule à la force physique impressionnante, totalement déconnectée de l'humanité. Pour les êtres humains le dessinateur reste dans un registre majoritairement réaliste, même si la diversité des morphologies reste très limitée. de plus, il n'exagère pas le langage corporel : il reste bien dans une comédie dramatique, et il ne passe pas en mode action ou aventure. Comme à son habitude, il épate le lecteur par la consistance de ses décors, et par leur niveau de détails, avec une forme de représentation quasi photographique. La mise en couleurs de Lee Loughridge s'avère assez foncée, ce qui renforce encore l'impression de cases très denses en informations visuelles. Au fur et à mesure, le lecteur peut, s'il le souhaite, ralentir un peu son rythme de lecture pour savourer les cases et les environnements qui y sont décrits et mieux prendre la mesure du niveau de détails pour les bâtiments, les bureaux, le salon des Walters, les salles de réunion, la pelouse du pavillon, etc.


La tension entre humains et robots augmente très progressivement, en allant en se généralisant. Dans un premier temps, le lecteur voit bien que le robot de la famille est la personne qui ramène l'argent par son travail, le gagneur, mais aussi un individu renfermé sur lui-même, coupé des personnes qui dépendent de lui, sans possibilité de reconnaissance de leur part. En outre, l'emploi de chaque robot semble aliénant et sans joie. le lecteur voit bien le parallèle se dessiner avec un foyer où seul le père travaille, et le reste de la famille dépend de lui sur le plan financier. Dans la postface, Russell explicite clairement que cette situation lui permet ainsi de mettre en scène la masculinité toxique, le titre évoquant le hashtag NotAllMen. le lecteur peut être un peu surpris car le propos semble de plus grande envergure, et pas forcément focalisé sur ce thème. Pour commencer, il n'est possible d'attribuer un sexe aux robots travailleurs, pas plus mâle que femelle. Ensuite le père de famille prend le parti de leur robot, et ce sont son épouse et ses enfants qui lui manifestent une hostilité feutrée. Enfin, le travail du robot leur permet effectivement de bénéficier d'une vie de loisirs, même si ceux-ci ne sont pas évoqués. Au fil des pages, le lecteur ressent plus un commentaire sur le travail et sur la force de travail. Lors d'un débat, un robot dit clairement que les humains sont moins efficaces, moins résistants, et qu'en plus ils prennent des pauses nocturnes pour dormir : une métaphore implacable sur la mise sur la touche des travailleurs fatigués ou moins productifs, et de la valeur absolue de la productivité. le récit devient plus dramatique encore quand cette génération de robots mécaniques devient elle-même obsolète, avec l'arrivée des androïdes. Vu sous cet angle, le récit est alors aussi caustique qu'impitoyable, aussi cruel que pénétrant.


L'association de Mark Russell et Mike Deodato junior donne naissance à un récit concis, à la narration visuelle dense et très concrète, faisant exister ce futur proche. L'intrigue réserve des surprises et est intéressante pour elle-même. Les thèmes développés ressortent avec plus d'acuité du fait de l'utilisation très élégante des conventions de la science-fiction pour mieux montrer ces mécanismes sous un jour nouveau et parlant.

Presence
10
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le 25 févr. 2023

Critique lue 204 fois

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