On va tous crever
7.1
On va tous crever

Roman graphique de Tobias Aeschbacher (2024)

Certes, mais quand, où et comment ?

De cette première œuvre du Suisse Tobias Aeschbacher dans le domaine de la BD, on remarque son titre à teneur prophétique. Mais, sa lecture montre qu’il masque un second degré qui apparaît progressivement.


Outre un prologue et un épilogue, l’album comporte six chapitres faisant intervenir des personnages qui habitent tous le même immeuble. Ces chapitres montrent ce qui se passe dans les six appartements de l’immeuble plus ou moins au même moment. Pour les besoins du scénario, les épisodes dans chaque appartement sont légèrement décalés dans le temps. Ainsi, le premier épisode ne fait que se terminer dans l’un des appartements en question, quand un trio y fait irruption. Auparavant, nous avons suivi ce trio dans sa préparation alors que les trois hommes qui le constituent font route, en voiture, vers l’immeuble en question.


Destins


Pour en revenir au titre, on pourrait imaginer qu’il cherche à nous interpeler par rapport à notre inéluctable destinée individuelle, ou même qu’il fasse un constat alarmiste par rapport à la situation planétaire qui se dégrade régulièrement (tensions politiques, sociales, épuisement des ressources naturelles, réchauffement climatique, etc.) En fait non, il fait référence aux personnages de l’album et se permet juste une légère entorse grammaticale permettant d’instaurer le doute qui intéresse l’auteur. En effet, la narration n’est pas assurée par l’un ou l’autre des personnages, ni même par plusieurs qui prendraient la parole à tour de rôle au fil des chapitres comme cela aurait été possible. En fait, comme dans bien des romans, nous avons affaire ici à un classique narrateur omniscient : le dessinateur-scénariste.


Références cinématographiques


La quatrième de couverture laisse entendre que l’histoire est dans la veine de ce que montre Quentin Tarantino dans ses films et c’est indéniable. Autre clin d’œil cinématographique selon mon impression The Big Lebowski l’inénarrable film des frères Coen. Petites justifications au passage qui permettent de situer un peu l’histoire, nous avons au début un groupe de malfrats qui se chamaillent dans leur voiture avant d’arriver à destination (l’immeuble déjà cité) sur des sujets très accessoires par rapport à leur objectif, ce qui a le don de faire monter inutilement la tension entre eux et même de les déconcentrer. Quant à l’objectif de leur virée, il s’agit d’une urne funéraire qui contient des cendres.


Construction originale


L’album se présente donc comme un enchainement de circonstances qui font intervenir successivement, des personnages qui habitent dans six des appartements d’un même immeuble. Le léger décalage narratif d’un épisode à l’autre permet juste de faire progresser l’action liée à l’irruption du trio de malfrats. L’auteur nourrit son album de nombreux détails loufoques qui l’agrémentent. Surtout, il nous propose une action plutôt absurde (en écho à l’absurdité de la vie) avec des personnages qui s’avèrent toutes et tous surprenants.


Cela va de la décision radicale qui prend effet comme par hasard au moment où le trio pénètre dans l’immeuble au pervers qui s’est arrangé pour installer un dispositif voyeuriste lui permettant de visionner les faits et gestes d’une de ses voisines en passant par un duo d’étudiants colocataires qui cultivent de l’herbe en telle quantité que cela consomme trop d’électricité, d’où des coupures intempestives de courant agissant comme une sorte de running-gag.


Un dessinateur en devenir ?


Si le scénario est le point fort de l’album, je n’en dirais malheureusement pas autant du dessin qui n’a rien d’agréable esthétiquement. Bien que la présentation éditeur le qualifie de graphiste, illustrateur et dessinateur de BD indépendant, sur ce qu’il montre ici, je considère Tobias Aeschbacher comme un dessinateur médiocre. Certes, il s’arrange pour caractériser suffisamment ses personnages, mais ceux-ci donnent régulièrement l’impression d’être restés à l’état d’ébauche. Au crédit du dessinateur dont c’est la première œuvre, il faut quand même dire qu’il s’y entend pour faire sentir à quel point certains de ses personnages sont des déséquilibrés. Pour évaluer ses capacités de dessinateur, il faudra attendre d’éventuelles prochaines œuvres pour faire des comparaisons et observer son évolution. Pour l’instant, la comparaison avec les dessinateurs les plus doués, montre clairement qu’Aeschbacher ne fait pas le poids. Autre remarque à propos du dessin, les décors restent souvent minimalistes, en particulier dans les appartements de l’immeuble où l’essentiel se passe. On sent le dessinateur focalisé sur son intrigue, avec comme défi (réussi) d’aller au bout de ce qu’il avait imaginé, ce qui n’est déjà pas si mal pour un début.


Critique parue initialement sur LeMagduCiné

Electron
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le 9 avr. 2024

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