Opus
7.7
Opus

Manga de Satoshi Kon (1995)

Dans une éprouvette que ça s'est fait, parfaitement. Opus, plutôt qu'une œuvre écrite pour la finalité d'être une œuvre à part entière m'a plutôt fait l'effet d'un terrain d'expérimentation où l'alchimie pétillait au bout du crayon. Chose amusante - ou non - ce n'est que bien après avoir prérédigé la critique que je publie présentement que j'ai su qui était Satoshi Kon. Parce que c'était quelqu'un. C'était, hélas. Pourquoi diable faut-il que les auteurs créatifs nous quittent si prématurément...

De la création, il en avait plein les crayons. L'originalité était là, et elle était approfondie ; exploitée jusqu'à sa dernière pépite. Satoshi Kon était un alchimiste, un prospecteur : un auteur consciencieux. Opus me sera alors apparu comme un équivalent de Dômu pour ce que le manga avait d'expérimental, s'orchestrant comme une première tentative de fission nucléaire franchement luminescente.

Il y a comme de l'Akira dans l'air. Dans le dessin d'abord, dans le dessin surtout. La mention de la télépathie lors de la lecture des premières planches - ou les dernières en l'occurrence - tout ça y concourt également. Et puis, il y a la date de sortie. Akira - le film - est tombé comme un météore dans le milieu du Seinen, les secousses, on les sentait encore dix ans plus tard avec Matrix.

À constater les résonnances graphiques qui se profilent à longueur de planches, celles-ci étant plaisantes et très matures dans les tons en restant simples, on mesure que Satoshi Kon avait dû se trouver non loin de l'épicentre du séisme Akira pour en être encore pleinement inspiré jusqu'au bout de la plume des années après. Il n'y a par ailleurs rien d'étonnant à constater que ce même Satoshi Kon, pareil à Katsuhiro Otomo, se sera davantage illustré dans l'animation de films que dans le manga.

Après avoir récemment pris connaissance de ses films animés, ce qui apparaît à l’aune d’une observation plus exhaustive de son œuvre rendue ainsi plus exhaustive laisse alors entendre que l’auteur est un cinéaste autrement plus spectaculaire qu’il n’est un grand mangaka. Dire cela ne revient pas à lui ôter ses mérites d’auteurs, mais un constat lucide aboutira nécessairement à cette conclusion. Satoshi Kon rappelle décidément en bien des aspects un certain Katsuhiro Otomo. Les deux, meilleurs cinéastes qu’ils ne sont mangakas, ont qui plus est un style de dessin relativement proche ; le travail de narration étant cependant mieux brossé chez Kon.

Avec Opus, on a un aperçu fugace du milieu de l'édition manga de cette époque. L'auteur qui, dans un café, mal rasé et la clope au bec, discute posément de son dernier chapitre avec son chargé éditorial encravaté, ça a le goût de l'authentique. On est loin de l'idéalisme béat et mensonger de quelques mythomanes pathologiques. ou d'un monde éditorial dont on a complaisament caviardé le pire pour ne garder presque que ce qui brille. Encore une fois, le coup d'œil sur le milieu ne fait qu'égratigner l'œuvre avant que celle-ci ne s'accomplisse dans son propos : celui d'un mangaka transporté dans sa propre création.

On trempe dans beaucoup de scènes d'action. Le dessin est la clé de la plupart des explications. On parle peu tout en exposant énormément à chaque page. C'est pas une modalité narrative que j'affectionne tout particulièrement, étant plus verbeux ; mais le travail est fait et sans faute. Je retrouve en tout cas que je n'appréciais pas du temps de Dômu bien que l'élaboration des personnages soit un peu plus poussée. Un peu.

Car il ne faut pas oublier que l'auteur (le personnage, j'entends) se confronte à ses personnages et les personnages en question correspondent à des schémas sommaires qu'il a lui-même établis. Il se reproche plus d'une fois d'avoir fait de Satoko un personnage aussi impulsif et se mord évidemment les doigts d'avoir créé Lin, la source de son présent problème.

La frustration qu'éprouvent des personnages à comprendre que le monde dans lequel ils vivent n'est qu'une fiction offre des perspectives plutôt intéressantes. Que ferions-nous à leur place ? La vacuité de l'existence n'apparait que d'autant plus importante à compter de l'instant où l'on se sait le produit d'un simple artiste s'étant improvisé démiurge malgré lui avec quelques tâches d'encre dispensées inconséquemment.

De l'action, des courses poursuite ; le manga n'est finalement fait que de ça dans le cadre de l'expérimentation qui se jour sur des planches. La place laissée à la réflexion est exigue et on s'y engouffre à peine. Malgré un prémice alléchant qui nous fait craindre que 20 chapitres ne sont pas suffisants, il n'en est rien. Pour tout dire, il y aurait même des pages en trop alors que l'on s'use à voir tout se beau monde crapahuter à vive allure et déverser le chaos par principe quand défilent les cases. Même que ça se paye le luxe de tourner en rond pour ne pas entrer dans le vif du sujet avec quelques chapitres convenus comme l'incursion de Satoko dans le monde réel.

Par endroits, sur les derniers chapitres notamment, il y a comme des traces qui rappellent 20th Century Boy au niveau de la narration et même de certains tons graphiques. Entre cela et le fait que le scénario de Billy Bat se soit inspiré de la thématique d'un auteur confronté à son œuvre, je n'exclue pas la possibilité que Opus ait pu exercer une influence sur Urasawa. Une modeste influence cependant, alors que la proximité lie finalement les œuvres par un sentiment plutôt que par une observation concrète et indéniable.

Opus, ça se termine avec une troisième couche de métafiction et c'est... là encore, très expérimental. C'est le propre des expériences que de se conclure de manière insatisfaisante après avoir eu des débuts prometteurs. Disons que le manga se vaut effectivement comme une expérience, justement à la manière d'un Domu qui avait des allures de galop d'essai avant Akira. Les amateurs y trouveront leur compte, les autres, dont je suis, hausseront les épaules sans soupirer trop fort. Ça aurait pu prendre une autre tournure, on ne sait trop laquelle, toutes auraient été frustrantes. Mais deux volumes, ça ne pèse pas bien lourd et ça ne fait pas tomber de très haut.

L'expérience, à défaut d'avoir été foncièrement concluante, aura eu pour elle le mérite d'exister pour mieux aiguiser le génie de son auteur.

Josselin-B
4
Écrit par

Créée

le 29 juil. 2022

Critique lue 170 fois

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Josselin Bigaut

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