Un souffle mesuré pour une vie démesurée

Je suis toujours curieux de voir comment la bande dessinée peut s’approprier les figures de l’Histoire, en particulier celles qui débordent de mythe, de démesure et de contradictions. Pablo, dans son intégrale, avait tout pour me plaire sur le papier.

Un personnage hors norme, une époque bouillonnante, et un duo d’auteurs (Clément Oubrerie au dessin, Julie Birmant au scénario) qui semblait vouloir raconter l’éclosion d’un génie sans tomber dans la vénération béate. Et pourtant… malgré toutes les bonnes intentions et les qualités indéniables de l’œuvre, je me suis un peu ennuyé.

Ce n’est pas une question de rythme mal géré ou de vide narratif, non. C’est plutôt que Pablo fonctionne comme un documentaire illustré, très riche, très documenté, mais qui laisse rarement la place à l’émotion ou à la surprise. On sent que la série veut être fidèle à l’Histoire, et elle l’est on traverse les débuts bohèmes, les errances amoureuses, les rencontres marquantes (Fernande Olivier, Apollinaire, Max Jacob…), les prémices du cubisme… Tout est là, bien dessiné, bien raconté, mais sans la flamme qui pourrait faire vibrer le lecteur.


Et pourtant, je ne veux pas être injuste.

L’album est visuellement très solide. Le trait d’Oubrerie, expressif, faussement naïf, colle parfaitement à l’ambiance d’un Montmartre encore crasseux, en pleine ébullition artistique. Il y a un vrai soin apporté à la représentation de l’époque, des intérieurs, des visages, et ça participe à ancrer le récit dans une réalité crédible, sans tomber dans l’excès de stylisation. Mais parfois, l’ensemble semble manquer d’audace graphique. J’aurais aimé que le style ose plus d’écarts, plus de ruptures visuelles, pour traduire la folie créative que Picasso lui-même incarne.


Le récit, lui, a la justesse du regard distancié. Il prend le parti de raconter Picasso à travers les yeux de Fernande, sa muse et compagne d’alors, ce qui est un choix fort et intéressant. Cela permet d’éviter le piège de la glorification, et de dresser un portrait plus nuancé de l’homme égoïste, instable, parfois cruel plutôt que du mythe. Mais là encore, malgré cette bonne idée, j’ai eu le sentiment que la narration restait trop linéaire, trop sage. On déroule la chronologie sans véritable heurt, sans moment de bascule fort. On nous raconte Pablo, mais on ne nous le fait pas vraiment vivre.


C’est peut-être ça le vrai point de friction. J’aurais aimé être happé, bousculé, emporté dans le tourbillon de cette époque et de cet homme. À la place, j’ai suivi un récit bien fait, parfois très instructif, mais qui m’a laissé sur le bas-côté en termes d’implication. C’est le genre de lecture que je respecte plus que je ne la savoure. Le genre de BD que je recommanderais à quelqu’un qui cherche un éclairage culturel sérieux sur les débuts de Picasso, mais pas à quelqu’un qui veut vibrer au contact d’un destin démesuré.

Pablo est une belle BD, honnête, précise, mais un peu trop scolaire pour moi. Elle m’a laissé sur ma faim côté émotions, malgré toute sa pertinence historique et son élégance graphique. Une biographie dessinée solide, mais pas inoubliable. Dommage, parce que le sujet méritait peut-être un brin de folie en plus.

KumaCreep
6
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le 1 juil. 2025

Critique lue 10 fois

KumaCreep

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