Ce tome regroupe les épisodes 1 à 6 d'une nouvelle série consacrée à Moon Knight, initialement parus en 2014. Tous les épisodes sont écrits par Warren Ellis, dessinés et encrés par Declan Shalvey, et mis en couleurs par Jordie Bellaire. Il est possible de lire ces épisodes, sans rien connaître du personnage. Durant ces épisodes, Ellis évoque brièvement quelques-unes des aventures les plus marquantes du personnage, de ses origines à son passage par la côte Ouest (voir Vengeur &Bas les masques !).


Juste avant la couverture du premier épisode, il y a un texte qui synthétise les origines : le mercenaire Marc Spector est mort en Égypte au pied d'une statue de Konshu (dieu égyptien lunaire). Il est revenu à la vie, porte des vêtements frappé du sceau de la Lune, est devenu complètement fou et a disparu.


Chaque épisode constitue une histoire complète en elle-même. Marc Spector a choisi une tenue de Moon Knight correspondant un costume 3 pièces blanc, avec des gants blanc, des chaussures blanches et une cagoule blanche couvrant complètement le visage. Il a fait ce choix sciemment pour que ses opposants le voient venir de loin. Au cours de ces 6 épisodes, (1) il enquête sur un tueur en série qui s'attaque à des culturistes et les mutile, (2) il met fin aux agissements d'un sniper, (3) il combat des fantômes, (4) il lutte dans une dimension astrale, (5) il délivre une fillette kidnappée, et (6) il fait face à un imitateur.


Premier constat : ces épisodes se lisent 2 fois plus vite des épisodes de superhéros habituels. Deuxième constat : Warren Ellis et Declan Shalvey racontent des histoires aussi minces qu'époustouflantes. Comment ont-ils réussi cette narration paradoxale ?


Ces épisodes se lisent très rapidement, et pourtant le lecteur y trouve son content de divertissement intelligent. En 2 pages, Ellis a effectué les rappels sur le personnage et installé la nouvelle situation : il travaille tout seul, il a un contact dans la police l'inspecteur Flint et il est très à l'aise financièrement. En 4 pages, le lecteur a compris qu'Ellis a trouvé un collaborateur à la hauteur de ses scénarios exigeants.


D'une manière générale, Ellis conçoit ses scénarios sur la base d'un concept autour duquel il construit une histoire, sans oublier qu'il s'agit d'une bande dessinée. Une très grosse partie de la narration repose sur les épaules de l'artiste. Par exemple les épisodes 2 et 5 comprennent de longues séquences quasiment muettes : 9 pages pour l'épisode 2 (soit presque la moitié de l'épisode), 12 pages pour l'épisode 5 (plus de la moitié de l'épisode). Si le dessinateur est quelconque, le lecteur ne perçoit plus que la vacuité des images, car la connexion avec l'intrigue n'est plus suffisante (ce qui explique pour partie l'échec de Avengers Endless wartime).


Le pari d'Ellis sur les capacités du dessinateur est ici d'autant plus risqué qu'il s'agit de 2 longues scènes d'affrontement, c'est-à-dire une scène stéréotypée de comics de superhéros, un point de passage obligé, dont la valeur ajoutée se limite souvent aux effets pyrotechniques des superpouvoirs. Ça tombe mal, ceux de Moon Knight ne se prêtent pas à l'emphase visuelle. De fait la résolution de l'épisode 2 (la deuxième moitié) est un peu creuse par rapport à la première partie, très inventive sur le plan visuel. Ce défaut est corrigé pour l'épisode 5 dont pourtant l'intrigue tient en 1 ligne : Moon Knight pénètre dans le bâtiment où est séquestrée la demoiselle et gravit les étages un à un en envoyant valdinguer les geôliers un à un. Pour cet épisode 5, l'intérêt de l'histoire devient l'habilité avec laquelle Moon Knight neutralise ses opposants, et au second niveau, l'habilité avec laquelle Ellis et Shalvey réalisent un comics d'action capable de maintenir le lecteur en haleine (alors que le lecteur sait à l'avance que Moon Knight sera vainqueur, sans une égratignure).


Chacun des épisodes repose sur un moteur narratif différent, Ellis jouant avec les attentes du lecteur. Il y a une composante ludique à se demander ce qu'Ellis va bien pouvoir inventer pour détourner les conventions du genre superhéroïques, à ne pas savoir à quoi s'attendre. De ce point de vue, la deuxième moitié de l'épisode 2 constitue une petite déception, puisqu'il n'y a rien de plus qu'un combat bien mis en scène. Pour le reste, la surprise est complète, générant un bon niveau de divertissement (à condition de ne pas rechercher une histoire de superhéros classique).


Ces histoires sont d'autant plus efficaces que la connivence entre Ellis et Shalvey est élevée. Cet artiste dessine de manière réaliste, avec des traits un peu rigides, une grande attention apportée aux textures et un bon niveau de détails. Il dépeint Moon Knight comme un individu sûr de lui, à la posture droite, ne cherchant pas à se cacher. La première scène inventive se déroule sur une page, Moon Knight descend dans les souterrains de New York le long d'une échelle, dans une case de la hauteur de la page, sur la gauche. Sur les 2 tiers de la partie droite de la page, les 3 cases superposées montrent les différents niveaux correspondants : d'abord le métro, puis en dessous les SDF, puis encore en dessous des machineries. La page suivante arrête le regard du fait du traitement des couleurs : le blanc de Moon Knight, le rouge vif de son opposant, le bleu des machineries en arrière-plan.


Ainsi au fur et à mesure des épisodes, le lecteur se régale de découvrir les saveurs de l'interprétation d'intrigues classiques et souvent ténues. Le début de l'épisode 2 est magnifique dans sa manière de mettre en scène l'assassinat de 8 personnes, avec 1 case étant dédiée à chaque cible par page. La représentation de Konshu et des fantômes est à la fois premier degré et légèrement ironique dans l'épisode 3. Le monde astral est surprenant dans l'épisode 4. Etc.


Pour ces 6 épisodes, Warren Ellis utilise des intrigues éculées et squelettiques pour remettre en selle Moon Knight. Il respecte à la lettre le cadre contraint des comics de superhéros en consacrant plus de la moitié de chaque épisode à l'action, avec des actions spectaculaires. Pourtant aucun de ces 6 épisodes ne se résume à une enfilade de clichés insipides. Ellis maîtrise à merveille le rythme de son récit, intègre à chaque fois 1 ou 2 idées fortes sur lesquelles reposent le récit (au vu de la pagination, cela s'apparente à une courte nouvelle). Il bénéficie de la mise en images sophistiquée de Declan Shalvey qui évite les stéréotypes visuels propres aux comics de superhéros, sans s'inscrire dans le registre Arts & Essais. Au-delà de chaque aventure en tant que divertissement, il n'y a pas d'autre niveau de lecture, si ce n'est la preuve éclatante que des auteurs peuvent encore surprendre dans le genre surexploité des superhéros. Ce tome est à ranger à côté de celui des Secret Avengers également écrit par Warren Ellis : Run the mission, don't get seen, save the world (en VO).

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le 1 janv. 2020

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