La première fois que j'ai entendu parler de Philipe Druillet , ce fut à l'occasion du visionnage d'un documentaire à l'honneur de Jean Giraud , compagnon de route de Druillet avec qui il a- entres autre chose - fondé le magazine Métal Hurlant. Ce documentaire s'appelait Moebius Redux et en plus de m'introduire au monde fabuleux de la bande dessiné de notre beau pays , il m'a aussi permis de découvrir ce fameux Druillet , sorte d' "illuminé" même si le mot peut paraître , à tort évidemment , soit péjoratif , soit bien trop banalisé. Pourtant , émergeant dans mon esprit entre les Giraud , les Jodorowsky et autres Giger , il sut attiser ma curiosité par la présentation - bien que furtive - de ses travaux.
J'ai donc fini par dénicher l'intégrale d'une de ses œuvres les plus connus : l'adaptation , à sa sauce (à la sauce Métal Hurlant , devrais je dire ) du Salammbo Flauberien. Et dire que j'ai été époustouflé est un bien piètre choix de mots.
Pour ceux qui ne connaissent pas l'oeuvre à la source même de ce bijou visuel - et croyez moi , je ne vous jettes en aucun cas la pierre - , Salammbo se déroule au troisieme siecle avant Jésus-Christ , période charnière pour le rapport des forces en Méditerranée étant donné que deux cités se tirent la bourre pour son contrôle totale : Rome donc - qui finira par , spoiler , l'emporter - et Carthage l'africaine , citée d'origine Phénicienne à la puissance et au rayonnement de plus en plus important à cette époque. Apres une première guerre Punique s'achevant à l'avantage de Rome , les mercenaires engagés par Carthage se révoltent contre leurs employeurs qui ne les ont pas payés. A leur tete , Matho le libyen qui va réunir sous sa bannière les tribus fédéré à la cité Tunisienne afin de s'emparer , d'elle et de sa reine , fille du général Hamilcar Barca , Salammbo.
Oeuvre orientaliste par excellence , se voulant historique , elle est ici transposé dans un univers de science-fiction ; celui de Lone Sloane , la saga phare de Druillet. C'est Sloane lui même , l'aventurier spatial , qui prête ses traits à Matho le Lybien et qui , de fait , romps des les premières pages avec la pesanteur de Flaubert. Cette transfiguration teinte l'oeuvre d'un romantisme noir , et parfois poisseux.
Druillet s'empare là de la narration lourde et pesante de l'auteur du XIXeme siecle , et appuie de tout son poids dessus , laissant à la surface des pans entiers du roman , par des cases qui transcendent les pages de cette adaptation monumentale. Décrire la puissance de ces batailles chaotiques auxquelles Druillet donne vie , où des hommes-bêtes affrontent des pachydermes hérissés , démesurés ; où les remparts d'Utique et de Carthage semblent se goinfrer de l'espace ; serait sans doutes impossible . Il faut le voir , s’imprégner de ce chaos rangé. De cette oeuvre d'art , tout simplement.
En plus de cela , si vous voulez dorer cette oeuvre , la rendre totale et complètement sensorielle , nul besoin de la lire sous l'emprise de substances illicites : branchez un peu de Wagner , ou un peu de Verdi et c'est comme si le choc des éléphants de guerre se répercutaient dans votre boite crânienne.
Une oeuvre puissante , orientaliste et sensuelle en un sens. De la science-fiction romantique.
Un trésor.