En grand fan de cette série de comics, j'attaque le travail de décortiquer chaque tome des intégrales pour inscrire dans le marbre ce que j'en pense définitivement.

J'en suis à ma 4ème relecture, car oui, je suis peut être un poil obsessionnel, mais pour le coup, c'est une des œuvres les plus marquantes de ma vie... Alors au moins pour lui rendre un hommage, je me dois d'accomplir cette tâche au moins pour lui donner une chance de résonner encore un peu plus!


C’est la première pierre d’un monument qu’on sent déjà sacré, alors même que sa forme est encore incertaine. Une naissance pleine d’éclats bruts, de tâtonnements, de promesses inouïes et déjà, dans ces huit épisodes, une force littéraire, symbolique, presque métaphysique, qui m’a coupé le souffle.


On commence dans l’obscurité.

Morpheus, capturé par un occultiste à la recherche d’un tout autre être, reste emprisonné pendant plus de soixante-dix ans, silencieux, humilié, nu. Et c’est ce silence, dès le début, qui donne le ton. Le récit ne cherche pas à nous séduire, il nous prépare à quelque chose de bien plus grand et mystérieux. Il installe et prend son temps, jusqu'à ce qu’enfin Dream s’échappe, le monde n’est déjà plus le même et lui non plus.


La structure du tome est classique en apparence, une quête des artefacts perdus, presque initiatique. Le masque, le rubis, la bourse. À chaque objet son épreuve, à chaque étape son univers.

Pourtant, Sandman ne ressemble à rien. Ce n’est ni une aventure, ni un récit de super-héros, ni de l’horreur pure, c’est un rêve lucide, un poème hanté qui flirte avec le grotesque et le sublime sans jamais tomber dans la facilité. Il y a cette capacité à t’engloutir dans un récit profondément gothique, tissé de mythes, d’onirisme et de symboles, tout en gardant les deux pieds dans l’humain, dans la douleur, dans la perte.

Des thèmes qui vont résonner sur toute l'œuvre, contre toutes attentes!


Gaiman tisse un canevas où l’ésotérisme se mêle au surnaturel, où les figures DC comme Constantine ou la Justice League s’invitent sans détourner le propos, et où les moments d’horreur pure côtoient des épisodes contemplatifs d’une douceur inattendue. Le tout avec un sens du rythme maîtrisé, linéaire, oui, mais jamais fade. Chaque chapitre a sa propre texture, sa propre respiration et si l’arc semble parfois “simple” en apparence, il ne cesse en réalité de creuser ses enjeux symboliques, sur la responsabilité, la rédemption, le pouvoir qui isole, et surtout cette question sous-jacente...

Que devient le monde quand les rêves sont absents ?

C'est d'une poésie qui me scotch encore très efficacement aujourd'hui!


Certains trouvent cette entrée en matière encore immature, trop mécanique dans sa narration. Pourtant, j’y vois tout l’inverse, une volonté nette de poser des fondations solides, de créer un socle narratif cohérent sur lequel Gaiman va, plus tard, jouer avec les formes.

Il fallait ce rythme, ce fil tendu entre chaque épisode, pour nous guider!


Impossible ici de ne pas parler de l’épisode 6, 24 Heures...

Un sommet de malaise. Un huis clos d’une violence psychologique qui m’a presque coupé la respiration. Ce n’est pas seulement du gore, c’est un rituel d’absurde, un théâtre cruel qui pousse les personnages à leurs limites, avec John Dee en figure du chaos, armé d’un pouvoir qu’il ne comprend même pas. C’est précisément là que Sandman frappe fort, il montre que le pouvoir, sans rêve pour l’encadrer, devient une absurdité cruelle. Ce n’est pas une critique politique, ce n’est pas une parabole évidente, c’est un miroir froid et impitoyable de ce qu’on est capables de faire quand plus rien ne nous lie aux récits, à l’espoir, à la création.

à l'écriture de ces lignes, mon sang se glasse, car croyez moi, on ressent le travail du scénariste ayant bien faire murir son sujet, pour nous le délivrer sous ça meilleure forme!


Sans parler de l'épisode en enfer, ou on comprend l'importance que vont avoir ces dialogues magnifiquement orchestrés... On se sort de conflit par des punchlines assassines, qui m'ont permis à l'époque de ma découverte que j'étais bien devant quelque chose de très grand!


Et puis, comme une parenthèse hors du temps, arrive l’épisode 8 The Sound of Her Wings.

Là… Le basculement. Morpheus retrouve sa sœur, la mort en personne et tout change.

Le ton, le rythme, la densité émotionnelle.

On passe d’un univers écrasant à un épisode presque simple, intimiste, presque quotidien, où la mort n’est plus une fin atroce mais une transition sereine, presque tendre. Le personnage de Death est un miracle d’écriture. Humain, drôle, posé, elle offre à ce tome un contrepoint lumineux sans rien perdre de sa profondeur. C’est peut-être le premier moment où Morpheus et le lecteur avec lui, reprend vraiment souffle.

Un bijou de narration qui me laisse un sentiment si tendre au simple fait d'y repenser.


Quelle joie de constater ce découpage narratif qui commence déjà à jouer avec la temporalité, le silence, les pleines pages pour renforcer l'importance des émotions complexes que peuvent traverser les personnages...


Alors bien sûr, on peut pointer du doigt certains défauts. Le style graphique des cinq premiers chapitres, signé Sam Kieth, est chargé, parfois difficile à lire, trop grotesque pour l’émotion recherchée. La transition vers Mike Dringenberg à partir de l’épisode 6 peut être brutale. Deux styles opposés, deux visions du rêve, et pourtant, en le relisant, je n’y vois plus une incohérence. J’y vois une mue. Une façon visuelle de faire ressentir la bascule intérieure du personnage, le moment où la machine redémarre.

Ce déséquilibre stylistique devient presque un langage en soi!

Oui cette manière de travailler va dérouter plus d'un lecteur, mais pour le coup j'y vois une remise en question artistique et visuelle qui est très engageante. Me donnant envi de découvrir de futur mises en pages qui sont d'ailleurs magnifiquement commentés à la fin de chaque volume pour le plaisir des plus fans!


Franchement cette partie making off c'est du caviar de chaque instant, pour qui aime décortiquer une oeuvre.

On apprend que dans un contexte de reprise et hybridation du catalogue DC, des personnages comme Constantine et la Justice League ont été imposé/proposé et que même via cette contrainte, l'auteur à pu en faire quelque chose d'intéressant et superbement bien intégrer!


Je regrette terriblement de lire certaines critiques, sur ce que nous avons déjà pu voir plus haut, concernant la linéarité de l’arc, sa structure “quête en trois objets” jugée un peu basique, voire “jeu vidéo”.

Mais réduire ce tome à sa structure, c’est ignorer son vrai moteur, la mélancolie, la perte, le besoin de renouer avec ce que l’on est. Sandman, dès ce premier volume, ne raconte pas une aventure. Il raconte un retour, voir même un retour difficile, imparfait, qui demande de reconstruire non seulement un monde, mais une place dans ce monde.

Démarrer une histoire sur quelqu'un qui a un lourd passé qui souhaite se reconstruire est quand même une bonne idée, pour rendre la suite moi structurelle et plus organique! Du moins, c'est à mes yeux quelque chose de terriblement engageant!


Enfin, je veux saluer la cohérence ambitieuse du projet. Ce tome ne cherche pas à être immédiatement spectaculaire. Il prend le risque d’être exigeant, de créer un mythe au lieu d’une histoire simple. Il commence dans l’horreur, dérange volontairement, et ose finir sur une note calme et métaphysique. Et c’est précisément cette rupture de ton, cette audace de changer d’intention en pleine course, qui prouve que Gaiman vise autre chose que le succès immédiat. Il prépare déjà l’évolution de la série, plus littéraire, plus symbolique. Ce tome est un tremplin, pas une promesse creuse.


Oui, ce premier tome a ses failles. Ceci dit je suis prêt à tous lui pardonner, au vu de l'originalité de traitement et l'efficacité de certaines scènes, dialogues et mises en pages. Ce sont des bégaiements d’un monde en train de naître et malgré ce que certains ont qualifiés de maladresses, tout y est! La poésie, la mythologie, la densité symbolique, la brutalité assumée, l’intelligence du récit et surtout, une émotion étrange, durable, qui reste après coup comme un rêve qu’on ne parvient pas à oublier.

Parce que je sais déjà que c’est ici que tout commence et que je n'aurais pas rêvé d'un meilleur démarrage pour une oeuvre aussi culte!

KumaCreep
10
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Créée

le 25 juil. 2025

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KumaCreep

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