Ce tome est le premier d'un diptyque racontant la descente littérale d'Hellboy aux enfers. Il comprend les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2012/2013, écrits, dessinés et encrés par Mike Mignola, avec une mise en couleurs de Dave Stewart. Le récit fait référence à plusieurs événements survenus précédemment et il vaut mieux être familier de l'histoire d'Hellboy pour apprécier pleinement ce tome.


Helboy a tué le dragon, puis le spectre de Nimue a arraché le cœur d'Helboy qui s'est retrouvé en Enfer. Un autre spectre relate ces faits à l'esprit de Sir Edward Grey, lui aussi décédé. Ce dernier demande au spectre de l'envoyer pour rejoindre Hellboy afin de l'aider. Dans le même temps, Hellboy chute et se reçoit lourdement et sans grâce, la tête la première sur un rocher. Un spectre lui apparaît lui indiquant qu'il ne se trouve pas vraiment en Enfer, mais dans les Abysses. Alors qu'Helboy est en train de se rendre compte qu'il connaît l'identité du spectre, de nombreuses créatures insectoïdes surgissent et l'attaquent. Elles sont dispersées par le spectre. Alors qu'Hellboy reprend la station débout, il est attaqué cette fois-ci par un géant armé d'un marteau, Duke Eligos.


Arès cet affrontement, le spectre l'emmène dans une maison dont les murs intérieurs sont couverts de signes cabalistiques. Alors que Duke Heligos attaque à nouveau, le spectre repousse Hellboy dans l'escalier. Il se retrouve sur une placette et observe un stand de marionnettes, où celle Jules Dulot reçoit la visite d'un squelette appelé Jacob Marley. Ce dernier informe Dulot qu'il va bénéficier d'une chance d'échapper à son sort, sous réserve qu'il soit capable de la saisir. Un autre spectre vient chercher Hellboy et fait en sorte de le faire léviter au-dessus de la cité où ils se trouvent. En survolant la cité, il l'emmène jusqu'à Pandémonium, la capitale des Enfers. Arrivés sur place, il lui explique que la capitale est vide, car tous les démons ont décidé de tenter leur chance ailleurs après la mort de Satan. Le spectre l'emmène jusqu'au pied du trône de Satan où flotte sa couronne, et où se trouve une mouche.


Ce tome est à recommander à des lecteurs déjà familiers du personnage, car il est fait allusion à plusieurs aventures à commencer par Hellboy T10: La grande battue, mais aussi la série dérivée Witchfinder T01: Au service des anges et quelques tomes du BPRD pour ce qui est de la Confrérie de Ra. Le paradoxe réside dans le fait que le lecteur familier d'Hellboy et ayant lu les tomes de la série sait déjà ce qui l'attend : la descente d'Hellboy aux Enfers jusqu'au trône de son père. En effet depuis le début de la série, l'enjeu pour le personnage est de savoir s'il pourra échapper à son destin qui est de succéder à son père sur le trône de l'Enfer. Dans le même temps, le lecteur n'a aucune idée de ce qui va arriver à Hellboy en Enfer, ni des batailles qu'il va avoir à livrer. Effectivement les premières séquences produisent un effet déroutant, laissant le lecteur dans l'expectative, totalement incapable d'anticiper ce qui va arriver. Il se demande quelles sont les différentes silhouettes encapuchonnées qui dispensent des conseils à Hellboy, et aussi quelles sont leurs objectifs inavoués. Il n'a aucune idée de la raison pour laquelle l'auteur intègre un spectacle de marionnettes mettant en scène Jacob Marley, un personnage secondaire de Un chant de Noël (1843) de Charles Dickens.


Dans le cas particulier de cette série, il est possible que le lecteur s'intéresse plus aux dessins qu'à l'intrigue proprement dite. En effet, ce tome (et le suivant) marque le retour de Mike Mignola en tant qu'artiste, alors qu'il avait abandonné cette fonction à partir du tome 8, confiant les dessins à Duncan Fegredo. Le lecteur se souvient des principales caractéristiques : des formes épurées parfois jusqu'à l'abstraction, des arrière-plans souvent vides, des personnages croqués à gros traits, des monstres à la conception graphique soignée aux petits oignons. Ceux de ce tome ne dérogent pas à la règle, comme en atteste la dizaine de pages d'études graphiques à la fin du tome. Elles permettent de se rendre compte des recherches sur les monstres insectoïdes et sur Duke Eligos. Les premiers évoquent les Grands Anciens d'HP Lovecraft sans pour autant donner l'impression de plagiat. Le second présente une forme massive et imposante, avec une morphologie pas tout à fait humaine, et une tête fendue en deux. Mignola n'a rien perdu de sa capacité à donner vie à des monstres aux formes très épurées, mais aussi à l'apparence quasi minérale. Le lecteur a du mal à croire que ces espèces de créatures aux yeux ronds et vides puissent être autant visuelles simples et dégager une aura aussi sinistre. C'est tout l'art du dessinateur que ces formes à l'apparence infantile soit quand même menaçante.


Il en va de même pour les différents démons anthropoïdes. Le lecteur retrouve un diablotin apparu dans The wild hunt, avec une posture naturelle très générique et un peu relâchée. Dans le même temps, les différentes formes noires encrées qui définissent ses traits du visage et la texture de sa peau en font une créature sans lien avec l'humanité. Comme à son habitude, l'artiste dessine des épaules tombantes à ses personnages, à commencer par Hellboy, mais aussi aux autres personnages. Il n'y a pas de logique autre qu'esthétique à ce choix, cette particularité dégageant une impression de fatalisme. Comme à son habitude, Mignola ne s'investit dans les décors que quand il le juge nécessaire. Il peut donc y avoir une absence d'arrière-plan une page durant, les ombres portées et les rayons de lumière venant alors insister sur l'ambiance. Lorsque l'environnement est représenté, il bénéficie du même soin dans sa conception que les monstres ou les personnages. Le lecteur avait déjà eu un aperçu de Pandémonium dans d'autres tomes. Elle présente une architecture évoquant étrangement des temples grecs ou romains pour une raison inconnue. Comme d'habitude le rendu de cette architecture semble taillé au burin, et est complété par les couleurs de Dave Stewart, en particulier des flots de rouge donnant une impression de sang, mais aussi de lave et de feu. Dessins + couleurs jouent sur un aspect monolithique et ancien, ainsi que sur des unités simples et d'un seul tenant, évoquant des forces primales et primaires


Au fur et à mesure des pérégrinations d'Hellboy, le lecteur découvre d'autres endroits inattendus comme une maison refuge, ou une place dans un village datant du dix-neuvième siècle. Le lecteur y voit un assemblage d'éléments hétéroclites qui forment un amalgame sans grumeaux, dégageant un fort onirisme. Il repère aussi bien des éléments gothiques, que des toitures provençales, ou encore un urbanisme bavarois. Cette présence chronique des décors incite le lecteur à y prêter une attention particulière quand ils sont présents, car c'est un indicateur du fait que l'auteur leur donne de l'importance. Le lecteur peut très bien ne pas être sensible aux mécanismes graphiques employés par Mike Mignola et qui lui permettent d'arriver à générer les ambiances et les sensations qu'il souhaite mettre en scène. Cela ne diminue en rien l'impact que certaines images ont sur la lui, la force de leur onirisme, de leur étrangeté, ou la puissance de leur évocation. Il peut s'agit d'images spectaculaires : Hellboy se tenant sur un rocher alors que les eaux autour regorgent de monstres, la vision de Pandémonium dans le lointain, le trône de Satan au milieu des décombres, Sarah Hughes transpercée par un croc de boucher, etc. Il peut également s'agir d'images plus banales mais très étranges dans le contexte d'une scène : une mouche enchâssée dans de l'ambre montée sur une bague, une épée courte tombant au sol avec un bruit retentissant, une pompe à eau sur une pierre tombale avec la mention Lethe. Alors même que les dessins semblent dépouillés, le lecteur se rend compte qu'ils comprennent des informations visuelles inattendues et déroutantes qui participent à établir une ambiance onirique et bizarre, dérangeante.


Le lecteur retrouve bien la force personnalité graphique de Mike Mignola, ce qui peut suffire à son plaisir de lecture. L'apparition de Jacob Marley est la première des citations littéraires. L'auteur a inséré une brève note en bas de page quand il en fait d'autres comme celle tirée de Macbeth (1623) de William Shakespeare, ou celle tirée du Paradis perdu (1667) de John Milton. Ces citations s'inscrivent naturellement dans le récit, côtoyant les éléments narratifs tirés du folklore populaire. L'auteur cite également des événements d'autres tomes de la série, en un nombre suffisamment limité pour que cela n'exige pas un trop grand effort de mémoire, mais pour faire apparaître le prolongement naturel que sont les développements dans ce tome. Mike Mignola déstabilise le lecteur en sautant à plusieurs reprises d'une situation à une autre sans transition claire, comme si Hellboy évoluait dans un environnement onirique, ce qui est le cas. Il faut donc accepter de se laisser porter par la narration, et de ne pas avoir des réponses immédiates, par exemple quant à l'identité de la personne avec qui Jacob Marley est en train de parler.


Arrivé au milieu du deuxième épisode, le lecteur commence à reprendre pied grâce à des informations sur les enjeux liés à la succession au trône de Satan, et à la fonction de la main droite d'Hellboy. Le lecteur de longue date soupire d'aise dans les dernières pages de l'épisode 2 quand il se rend compte qu'il assiste à la naissance d'Hellboy, avec la présence de sa mère et la greffe de cette main droite si particulière, disproportionnée par rapport au reste de son corps. L'auteur retient l'attention de son lecteur par une série de révélations inattendues à ce stade du récit, à commencer par l'apparition de Gamon et Lusk 2 frères d'Hellboy et d'autres révélations encore. Du coup le lecteur lui accorde sa confiance totale au cours de l'épisode 3, ce qui tombe bien parce que l'épisode 5 semble prendre une voie de traverse pour une anecdote relative à Jules Eugène Dulot, sans beaucoup de rapport avec la choucroute.


Alors qu'il arrive avec une idée bien claire de la direction générale de l'histoire pour ce tome, le lecteur se trouve complètement pris au dépourvu par ce que lui raconte l'auteur. Mike Mignola n'a rien perdu de son talent graphique pour réaliser des formes à l'apparence simpliste, mais à la saveur inégalée. Il emmène le lecteur dans des endroits inattendus, à la rencontre de personnages très surprenants, pour des scènes déroutantes, mais enrichissantes.

Presence
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le 12 févr. 2020

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