En vingt ans, il a été savaté, crucifié, poignardé. Il a échappé au chant des sirènes, aux incantations de Raspoutine, à des hordes d’officiers nazis. Jusqu’à ce qu’un sombre dragon ait raison de lui, Hellboy. Ce fils de démon est maintenant seul en enfer. Presqu’une sinécure, une balade de santé puisque non content d’échapper enfin aux passages à tabac systématiques, il y retrouve son créateur, Mike Mignola.

On pensait l’Américain perdu pour le dessin, préférant partager un cigare avec les fantômes de Poe et Lovecraft, histoire de nourrir sa propre cosmogonie. Depuis 1994, le dessinateur cultive un univers tentaculaire, offrant années après années de nouvelles séries aux collègues de Hellboy. Il y eut d’abord le BPRD (le Bureau for Paranormal Research and Defense) et Abe Sapiens, puis ce fut le tour des enquêteurs du paranormal Lobster Johnson (durant les années 30) et Witchfinder (fin du XIXe siècle). Ajoutez à cela les deux honnêtes films de Guillermo Del Toro, et on comprend comment Mike Mignola s’est retrouvé absorbé par son rôle de gardien du temple -le passage de relais étant définitivement acté en 2008, lorsqu’il a passé les rênes de la série Hellboy au dessinateur britannique Duncan Fegredo.

La sortie du premier volume de Hellboy en enfer, chez Delcourt, est donc l’occasion de retrouver un personnage laissé pour mort et de ressusciter le style de Mignola, à la croisée entre l’expressionnisme allemand, Jack Kirby et Alex Toth. Le raffinement de ses compositions n’a rien perdu avec le temps et Mignola reste le maître de l’ombre en mouvement, ses personnages semblant ne s’extraire des ténèbres que le temps d’une respiration avant de revenir se lover dans un océan de jais. Au point que certains de ses dessins semblent réalisés à la carte à gratter. Chaque planche est une ode aux cimetières tourbés, aux diseuses de bonnes aventures et autres homoncules. Les couleurs de Dave Stewart s’assombrissent également, le rouge carmin de la peau de Hellboy semblant absorbé par son environnement vert-de-gris, comme la lande un soir de clair de lune.

L’unicité de ce comics tient aussi au maniement des registres de langue, où s’entrechoquent l’usage du passé simple (sans que la BD ne sente jamais la boule antimite), des citations de MacBeth ou du Paradis perdu et la vulgarité bourrue de son personnage principal, sorte de Haddock à queue fourchue.

En basculant du monde des vivants à celui des morts, Hellboy se fait néanmoins plus introspectif. Il a beau feindre l’indifférence en se réfugiant derrière un flegme de façade («M’intéresse pas…»), il relance bien trop rapidement ses interlocuteurs pour un type qui ne souhaite pas en savoir un peu plus long sur ses origines. Autant de clés qui permettent à de nouveaux lecteurs de s’engouffrer sans problème dans l’univers de Mignola. Comme toute réunion de famille, la déambulation de Hellboy le long du fleuve Acheron se passe forcément mal, et les frangins ne tardent pas à sortir la boîte à baffes, histoire de régler une fois pour toutes la question du fiston préféré.
Marius
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le 12 avr. 2014

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