Je me souvenais pourquoi j'avais arrêté.
C’est souvent comme ça avec certaines œuvres qu’on a aimées trop tôt. On est emporté par l’élan, par la promesse d’un univers plus vaste que soi, puis quelque part en chemin, l’élan retombe. Seven to Eternity, je l’avais découvert dès sa sortie en France, conseillé par un libraire qui connaissait mon affection pour Rick Remender.
Et oui, j’étais conquis.
J’ai acheté les tomes dès leur sortie, porté par cette énergie brute, ce monde étrange, ces dialogues ciselés qui te parlent plus de famille que de magie. Puis j’ai décroché. Peut-être un ou deux tomes avant la fin. Pas par lassitude, mais comme si le récit lui-même avait bifurqué trop de fois.
Replongé dedans grâce à l’intégrale, je comprends mieux ce qui m’avait échappé à l’époque. Parce que cette relecture, aussi plaisante soit-elle, m’a rappelé à quel point ce comics est dense. Peut-être trop...
La narration prend souvent des chemins inattendus, et ce qui devait être une quête centrale se disperse dans des arcs secondaires, des souvenirs, des allers-retours, des changements de tempo difficiles à anticiper. On saute d’une scène poignante à une séquence d’action démesurée, puis on revient à une narration introspective. C’est vivant, imprévisible, parfois même grisant.
Mais aussi un peu fouillis.
Et pourtant, il y a des choses magnifiques là-dedans.
Les dialogues, d’abord... Il y a une manière chez Remender de faire parler ses personnages comme s’ils portaient le poids de générations entières. Il y a du père, du fils, du deuil, du pardon, des idées de destin, de transmission, de choix impossibles. Ça touche souvent juste, sans jamais être mièvre. Même quand ça frôle le verbeux, même quand ça ralentit un peu trop la lecture, il y a une émotion sincère qui transparaît, une volonté de dire quelque chose de vrai sur les liens qu’on garde, et ceux qu’on coupe.
Mais ce qui m’a le plus scotché, hier comme aujourd’hui, c’est l’aspect visuel. Jerome Opeña, avec les couleurs de Matt Hollingsworth, livre un travail d’orfèvre. C’est somptueux. Chaque page est un tableau, chaque case a du souffle. Il y a une beauté brute dans les visages, dans les décors, dans les créatures sorties de rêves, ou de cauchemars. Des géants muets, des mollusques célestes qui tirent des calèches, des paysages éthérés qui te donnent envie de poser le livre juste pour les contempler. Franchement, certaines planches méritent d’être encadrées et j'avoue en avoir pris en photo certaines d'entre elles, dans le but de les encadrer.
Mais au-delà du dessin, il y a ce monde, Zhal, qui déborde de concepts fascinants… et qui pourtant reste flou. On devine des nations, des cultures, des structures de pouvoir, mais le récit préfère suggérer que détailler. Ce n’est pas un défaut en soi, mais ça complique l’immersion. D’autant plus quand le rythme se dérègle, parfois trop rapide, parfois trop lent, parfois désorientant. On perd de vue où vont les personnages, ou pourquoi.
On suit, mais il faut s'accrocher pour bien comprendre.
Et malgré ça, je suis resté accroché. Parce qu’il y a une vraie belle histoire. Celle d’un homme pris entre deux loyautés... l’héritage d’une famille passée, et la protection d’une famille présente. Un père, un fils, un combat qui dépasse les frontières du monde, mais qui reste profondément intime. Le journal en parallèle, la narration en deux temps, tout converge lentement vers une fin qu’on pressent tragique et nécessaire. Et même si on voit venir le twist, même si le Maître des Murmures nous rappelle un peu trop Kaiser Söze, ça fonctionne. Parce que ça questionne. Sur le pouvoir, le libre arbitre, le consentement. Sur la place qu’on prend, et celle qu’on laisse.
Alors non, je ne recommanderais pas Seven to Eternity à n’importe qui. C’est dense, c’est exigeant, parfois même frustrant. Mais si on accepte de s’y perdre un peu, si on se laisse happer par ses défauts comme par ses fulgurances, on découvre une œuvre étonnamment humaine, et résolument à part.
Une traversée marquante, dans un monde qu’on oublie difficilement. Malgré qu'il puisse être teinté d'un soucis de rythme qui peut grandement impacter votre appréciation.