Solanin, tome 1
7.7
Solanin, tome 1

Manga de Inio Asano (2005)

Taneda et Meiko ont 24 ans, et travaillent depuis deux ans, enchaînant les Baito, des petits jobs sans la moindre perspective d’avenir, qu’enchainent certains travailleurs japonais qui ne veulent pas se fixer et rentrer dans « le vrai monde des adultes », comprendre « obtenir un CDI dans une boite stable et s’y investir pleinement ». Meiko a un salaire correct qui permet à son couple de vivre sans trop de soucis dans une ville de Tokyo chère et pleine de rêves brisés. Taneda est l’un de ces Japonais qui rêvait d’atteindre la gloire au sein de la capitale, avec son groupe de rock quelconque, ses potes de l’université et ses chansons aux paroles mièvres et convenues. Après tout, comment écrire des textes profonds et originaux quand on vit depuis toujours dans une société en paix, détachée du reste du monde et de ses problèmes et qu’on mène une vie banale d’(ex-)étudiant désillusionné ?


Solanin, c’est donc l’histoire d’une jeune femme, de son couple qui fonctionne, mais dont l’équilibre est précaire, de leur quotidien quelconque, de leur groupe d’amis qui l’est tout autant et surtout, c’est une histoire qui parle de rêves qu’il ne faut jamais abandonner, sous peine de perdre l’essence de sa propre personnalité.


En soi, le propos est quelconque, et jamais bien original, et ce manga est truffé de petits défauts agaçants. Le plus grand d’entre eux, c’est la vocation qu’il a d’être une œuvre générationnelle, qui raconte les déboires des jeunes adultes dans cette société japonaise plus vraiment faite pour les jeunes, où seuls comptent le travail et la réussite sociale. Un défaut, parce qu*’Inio Asano*, également auteur du très intéressant Bonne nuit Punpun appuie son propos d’une manière assez pompeuse, alignant les assertions pseudo-philosophiques « profondes » sur le sens de la vie, de l’amitié ou du travail : les poncifs de la réflexion adolescente, adaptée à un public un peu plus adulte.



On est venus de loin, du Sud et du Nord, pour monter à la capitale. On
était désarçonnés par la densité et la complexité de Tokyo, on était
un peu comme deux personnes débarquant sur une planète inconnue… (…)
Le ciel à cette époque me paraissait immensément grand.



=>La déroute conventionnelle du provincial qui monte à la capitale.



J’ai l’impression d’avoir pris la route depuis des années sans savoir
où je vais… Tout ce que je sais, c’est que cette forêt est entourée de
murs très hauts et effrayants, et qu’elle n’a pas de sortie. Je porte
sur le dos quelque chose de plus en plus lourd qui finit par
m’épuiser.



=>Je suis un peu perdu dans ma vie, et le poids de mon existence ne cesse de s’alourdir, wah.



Les feux d’artifice sont très beaux, pourtant c’est la même poudre à
canon qui permet de tuer des gens. [Regard vers le lointain]



=> Dans la vie, tout est relatif et l’homme fait des choses bonnes comme mauvaises, waw.


Le problème, c’est que tout se prend hyper au sérieux, avec une mise en scène assez lourde, du rêve prémonitoire ou étrange (avec un sens caché, mais pas trop en fait), des scènes clichées (comme le fameux moment de réunion entre amis devant des feux d’artifice seuls sur une plage, moment de communion et de réflexion sur le sens de la vie) et presque aucun recul ou second degré. En soi, je n’ai rien contre les œuvres à vocation philosophique, mais ici tout n’est qu’est esquissé et l’on croit parfois être en face d’un film d’auteur français couplé à un film postulant pour Sundance, avec toutes ces situations banales suranalysées et faussement naturelles. Alors que toutes ces réflexions, toutes ces idées, auraient pu être déduites par le lecteur en fonction de ce que montre le manga, en fonction du comportement des personnages et de leurs interactions, les introspections et les textes narratifs (sur fond noir) ayant tendance à mettre trop d’emphase sur le propos.


Et ce manque de subtilité est clairement rédhibitoire, parce que cette histoire a clairement un potentiel pour être universelle, pour saisir la détresse et les désillusions du jeune travailleur qui n’a pas encore pleinement rompu ses liens avec le monde de l’enseignement, les joies de la vie étudiante, mais pas encore prêt à s’accoutumer à l’environnement du travail. Et malgré leur manque de subtilité, les personnages sont assez attachants, un peu losers, mais pas trop, assez quelconques en apparence, mais possédant chacun leurs petits démons cachés, une vision propre du monde, ils parviennent à montrer que leur personnalité n’est pas archétypale/univoque, et même si leur histoire n’est pas bien passionnante (il ne se passe pas grand-chose dans le premier tome), on s’y attache.


Et la structure du manga joue beaucoup, même si encore une fois ça manque un peu de subtilité avec bien trop de flashbacks à vocation larmoyante, le découpage des deux tomes est très bien pensé et permet une relecture de la même histoire de deux manières différentes.


A la fin du tome 1, quand Taneda meurt, l’histoire est pleinement scindée en deux, et si la suite s’annonce prévisible (phase de deuil pour ses amis), son ombre plane sur tout le second tome et bien que ce soit encore une fois trop appuyé (flashback de la première rencontre, des débuts de leur relation, etc), j’ai trouvé ça touchant, parce que le sentiment de vide de Meiko la pousse à reprendre le rêve de son copain, tout en sachant qu’elle a encore moins de talent que lui. Le tout avec une fin très sobre qui ne verse pas dans le conte de fée ou dans la facilité scénaristique, mais permet justement au deuil d’être pleinement fait, par tous.


Et si intrinsèquement le premier tome semble maladroit, les deux mis bout à bout se complètent bien et se répondent. Le premier, c’est le temps des réflexions métaphysiques et du « qu’allons-nous devenir », le second c’est le temps des réponses, la naïveté a beaucoup moins sa place et au final il est bien plus tourné vers les personnages en eux-mêmes. La fin est également très réussie parce qu’elle ne prend pas de position claire : Meiko reprend un job, déménage et dit sans doute adieu à la musique, mais elle ne renie pas pour autant ses convictions pour rentrer dans « le moule de la société japonaise ». Le dilemme entre « responsabilité » et rêves n’est pas résolu, et de cette manière on évite toute morale grotesque.


Bref, Solanin c’est une histoire simple qui en fait un peu trop, qui semble tellement pompeuse au premier abord, mais qui se révèle au final assez touchante, juste et universelle, bien qu’elle ne soit pas follement originale. Beaucoup de questions soulevées, peu de réponses, et une représentation très pertinente du sentiment de perdition entre deux époques importantes de la vie. Selon que je note avec mon cœur ou mon esprit, je surnote ou sous-note, mais au fond l’essentiel n’est pas là.

Floax
7
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le 17 août 2015

Critique lue 640 fois

7 j'aime

Floax

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