Au départ (2016), il y avait tout pour avoir peur : "Dany et Yann vont faire un SPIROU" !

Le problème n'étant pas vraiment Dany, dont le dessin a toujours été excellent, mais Yann au scénario qui n'a jamais brillé dans les efforts qu'il a commis pour SPIROU : des références, des citations et des clins d’œil au kilo, sans oublier des nazis dès qu'il peut en caser et des interjections en flamand, incompréhensibles pour de nombreux lecteurs. Bref : du gros lourd artificiel et prétentieux qui plombe toutes ses histoires et ses dialogues. Et puis, pour les 80 ans de la création de Spirou en 2018, le tandem avait pondu un récit infect (Jokarira bien qui jokarira le dernier) dans lequel Spirou était un sale petit vicelard pervers. Alors, il y avait effectivement de quoi avoir peur au départ.

Après la première lecture, comme on s'attendait au pire, on a en fait été "déçu en bien" comme disent les Suisses. Rien a redire pour le dessin, comme prévu, si on aime le style de Dany. Mais Yann a su revenir à ce qu'il faisait très bien avec son comparse Conrad au temps des premiers INNOMMABLES. Cette série parue dans le Journal de Spirou au début des années 1980 a beaucoup fait parler d'elle parce que sous des dehors bien calibrés, correspondant aux canons graphiques du journal très conservateur (Conrad avait été pressenti pour reprendre SPIROU & FANTASIO après Fournier), il s'agissait en fait d'un truc fondamentalement provocateur, iconoclaste et très irrévérencieux. Au point que Dupuis a annulé la parution de la série avant de terminer l'épisode en cours (Aventure en jaune) dans lequel, entre autres, un des protagonistes se baladait le zob au vent, un couple forniquait dans la pénombre, deux hommes se bécotaient, un gros capitaine noir faisait la traite des blanches et introduisait son doigt dans un orifice chaud et humide, tout le monde était raciste envers tout le monde et les (anti)héros étaient des salopards immoraux. Bref, chacun en prenait plein la tête. Yann & Conrad furent donc remerciés avec l'étiquette "nouvelle génération provo" collée au front. Depuis, les deux se sont assagis : Conrad a repris le dessin d'ASTERIX et Yann passe pour l'expert numéro 1 de Franquin, de SPIROU & FANTASIO et du journal (d'où son étalage de culture souvent écœurant sur la question dans ses albums).

Dans La Gorgone bleue, on retrouve le Yann de cette époque : il a fait par principe tout ce qui est susceptible de déplaire au lecteur "classique" de SPIROU & FANTASIO par pure provocation. Et ça marche ! (il suffit de voir les réactions). En se servant de thématiques très actuelles, tout le monde en prend plein son grade : les écolos qui vivent très bien avec leurs contradictions en faisant quand même la morale à tout le monde ("Mon cœur est écolo... mais mon estomac est réac !"), les industriels (Simon Santo) pollueurs pratiquant le greenwashing, les militaristes, les femmes, les hommes, les héros, les noirs et blancs aussi cons les uns que les autres, les gamins décérébrés qui sont vissés à leur appli sous les yeux des parents qui laissent faire et disent amen à tout, les tv-réalités, les chaînes d'info et leur prétendue déontologie, les connards qui se contentent de filmer avec leur portable quand ils voient une bagarre dans la rue, les adultes ancrés dans le passé (Fantasio réac), et même des totems inattaquables comme le Marsupilami ridiculisé (très drôle) ou encore les auteurs et leur propre récit (par le biais de Spip qui nous demande si on n'avait pas déjà compris les explications évidentes du comte depuis déjà très longtemps), sans oublier un Champignac libidineux.

Quant à Dany, il se délecte - comme toujours - à dessiner des femmes peu vêtues. Provo encore ! (dans SPIROU, vous pensez). Et surtout il fait un grand plaisir aux quelques personnes qui se souviennent de Jo Nuage & Kay Mac Cloud puisque cette dernière occupe une place importante dans l'histoire. Plutôt que créer un personnage nouveau pour faire l'agent de la CIA, il a en effet judicieusement récupéré celle qu'il avait créée en 1976 pour feu Ach!lle Talon Magazine et qui a disparu après une aventure et le début d'une seconde, malheureusement restée inachevée (elle partait bien). Et puis, la quatrième de couverture (hommage à BUCK DANNY) est très sympa, notamment par les titres des prochaines aventures annoncées, avec une petite vanne au passage pour La Mort de Spirou.

En somme, la découverte de l'album fut très satisfaisante, malgré quelques passages un peu lourds. Forcément.

À la deuxième lecture, l'impression générale se confirme. On n'est plus surpris par les quelques points faibles et l'ensemble reste bon. Les remarques de Spip sont souvent bien trouvées.

Au bout du compte, cet album est très bon, mais pas forcément pour les amateurs de SPIROU & FANTASIO. En revanche, pour les nostalgiques d'Aventure en jaune...

Muffinman
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Spirou, Fantasio, Spip... et les autres

Créée

le 25 sept. 2023

Critique lue 412 fois

2 j'aime

Muffinman

Écrit par

Critique lue 412 fois

2

D'autres avis sur Spirou et la Gorgone bleue - Une aventure de Spirou et Fantasio, tome 21

Du même critique

Let It Be
Muffinman
6

Le dernier album est LET IT BE et pas ABBEY ROAD !

Question du Trivial Pursuit : "Quel est le dernier album des Beatles ?" Réponse : Abbey Road Eh bien c'est faux ! On entend souvent dire des choses péremptoires comme : "Oui, Abbey Road est sorti...

le 19 mars 2015

21 j'aime

Shangri-La
Muffinman
3

Gentille SF pour les 12-15 ans

Tout commence dans la librairie. On musarde entre les rayons et lorsqu'on l'aperçoit, on est immédiatement attiré par ce bel objet luxueux au dos toilé. "Une intégrale sans doute ?" se dit-on, vue...

le 8 nov. 2017

20 j'aime