Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il regroupe les épisodes 1 à 6 de la série, initialement parus en 2020/2021, écrits par Chip Zdarsky, dessinés et encrés par Ramón K. Pérez, et mis en couleurs par Mike Spicer. La couverture a été réalisée par Pérez.


Daniel West travaille en tant que designer graphique dans un agence de communication. Il est convoqué par sa cheffe dans son bureau. Elle lui explique qu'elle ne peut pas tolérer le fait qu'il ait bousculé fortement un de ses collègues de travail et que l'entreprise a une politique de tolérance zéro sur ce genre de comportement : il est licencié. Le soir même, il sort en boîte avec son pote Tony Kim, et consomme un peu trop, au point de devoir sortir pour vomir dans le caniveau. Quand il veut re-rentrer avec Tony, le videur s'interpose : il ne veut pas de client puant le vomi. Dan lui met un point dans la face. Il se réveille le lendemain dans son canapé avec un bel œil au beurre noir, et Tony en train de jouer avec sa console, après avoir passé une très bonne nuit dans le lit de son ami. Quelqu'un frappe des coups à la porte : Dan va ouvrir. Un homme de loi lui remet un courrier en main propre. Dan l'ouvre : il s'agit d'une invitation à se rendre le 15 mai 2019, dans la ville de Stillwater pour un rendez-vous dans le cabinet de l'avocat Joël Peterson, pour toucher une somme d'argent en héritage de Margaret Smith, une arrière-arrière-grand-tante. Dès le lendemain, il est en train de conduire pour se rendre à Stillwater avec son ami Tony Kim qui l'accompagne.


Dan et Tony s'arrêtent dans une station-service pour faire le plein. Dan reste à la pompe, pendant que Tony va acheter de quoi grignoter. Il demande à la caissière si elle connaît la ville de Stillwater : aimable comme une porte de prison, elle répond qu'elle n'en a jamais entendu parler. Les deux amis remontent en voiture, et Tony explique qu'il ne sait pas si elle se moquait de lui ou pas. Leur GPS leur indique qu'ils doivent tourner dans une petite route de desserte dépourvue de panneau d'indication. Tony s'amuse : une lettre sur un mystérieux héritage, une petite route dans une forêt dense. Ils se rendent compte qu'il y a une voiture de police derrière eux, avec les feux à éclat en fonctionnement. Ils s'arrêtent : Ted l'adjoint au shérif s'approche de la fenêtre côté conducteur, et demande le permis de conduire, ainsi que les papiers du véhicule. Il porte une casquette à visière et des lunettes de soleil, avec une expression fermée peu engageante. Il leur demande la raison pour laquelle ils se rendent à Stillwater. Daniel explique qu'il vient pour affaire. Finalement Ted s'excuse pour sa façon de parler un peu sèche, et leur souhaite un bon séjour à Stillwater. Ils parviennent dans une petite ville et se garent pour aller manger un morceau dans le diner de la grand-rue. Pendant que Dan passe commande au comptoir, Tony regarde à l'extérieur et voit deux enfants en train de se battre sur le toit de l'immeuble en face. L'un pousse l'autre qui tombe sur la chaussée. Dan et Tony se précipitent à l'extérieur pour venir à son aide.


Après avoir prouvé ses talents de scénariste chez Marvel sur des séries comme Daredevil et Spider-Man Lifestory, Chip Zdarsky lance une série indépendante au long court chez Image Comics. Ce premier chapitre s'avère très intriguant. Dès la fin du premier épisode, le lecteur sait à quoi s'en tenir et dispose d'une vision claire de la dynamique de la série. Daniel West se retrouve dans un petit patelin à l'écart, présentant une particularité surnaturelle, et il s’agit de savoir s'il va s'installer, s'y accoutumer ou s'il va chercher à s'en échapper à tout prix. Le lecteur découvre la situation en même temps que lui puisque l'un et l'autre sont des nouveaux arrivants dans cette petite bourgade. Ils font donc connaissance avec plusieurs citoyens : Ted l'adjoint au shérif pour commencer, Tanya la shérif, le juge Simon Taylor, le docteur Nathan Walsh, le maire, Galen le garçon qui tombe du toit, madame Lilow responsable de l'état civil. L'artiste avait déjà travaillé avec le scénariste sur la série Marvel Two-in-One. Il réalise des dessins dans un registre réaliste et descriptif avec des traits de contour un peu appuyés, pour une apparence un peu plus spontanée, sans l'impression aseptisée quand les dessins sont trop peaufinés. Le lecteur identifie donc facilement les personnages : Dan et son regard souvent dans la défiance, Tony avec son langage corporel beaucoup plus détendu et ses expressions de visage plus enjouées, Ted et ses postures toujours dans le registre de la confrontation physique, Galen et son regard en décalage avec son apparence de garçon pas encore adolescent, le docteur avec ses épaules un peu tombante et sa posture résignée, le juge et son attitude inflexible, la shérif et son air exaspéré, Laura Quinn et son air craintif, etc. Chaque personnage dispose de sa silhouette propre, et d'une tenue vestimentaire correspondant à son statut social et son métier.


Comme Dan & Tony, le lecteur regarde autour de lui pour découvrir Stillwater. Après être passé dans l'open-space où travaillait Dan, puis son appartement et la station-service, il découvre la rue principale de Stillwater avec ses constructions à 1, 2 ou 3 étages. Il remarque l'aménagement de bonne qualité du bureau du juge, la banalité de la maison de Laura, et de celle de Nathan. Il voit un aménagement très standard de la salle d'audience de la mairie. L'artiste sait montrer la banalité d'une petite ville comme tant d'autres aux États-Unis, avec un niveau de détails suffisant pour dépasser le stade de décor en carton-pâte, sans non plus ajouter des éléments vraiment particuliers. Les tenues vestimentaires s'avèrent plus variées, tout en restant banales. Il sait représenter les bois, avec des formes et des implantations d'arbres crédibles, même s'il n'est pas possible d'en identifier les essences. D'un côté, le lecteur n'a pas le souffle coupé par des visuels extraordinaires, ou des découpages de planche virtuoses ; de l'autre côté, l'ambiance de petite ville est bien rendue, la direction des acteurs est juste, et les décors sont présents dans plus de 80% des cases. C'est donc une narration visuelle discrète, entièrement au service du récit, sans éclat, mais très solide.


Le scénariste a choisi un point de départ éprouvé : deux personnes se retrouvent incapables de partir dans une petite bourgade qui cache un secret de taille. Zdarsky sait très bien que cette situation n'est pas très originale et il l'exprime même par la bouche de Tony Kim qui le fait remarquer à Dan : lettre mystérieuse, route étrange, pas de panneaux indicateurs. Il ajoute que fort heureusement les dangers ne surviennent que nuit. Bien sûr un événement inexplicable se produit 4 pages plus loin, dans la lumière du jour. Le scénariste en rajoute un petit peu avec la pompiste qui ne sait pas où se trouve Stillwater, et l'isolement de la ville dont les habitants ne sortent quasiment jamais, sans oublier l'absence de couverture réseau ce qui rend inopérant le téléphone portable dès qu’on a quitté la route principale. Dans le même temps, les habitants ne semblent manquer de rien : nourriture, habits, matériaux, boissons, carburant, etc. Ils ne sont donc pas aussi coupés du monde que ça, ils ne vivent pas en autarcie. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut trouver ce décalage plus ou moins rédhibitoire pour sa suspension consentie d'incrédulité. Dans ce cas-là, il peut encore envisager l'histoire comme relevant plutôt du conte où il ne fait pas tout prendre au premier degré.


Dans tous les cas, il reste impliqué dans le récit, car les auteurs ont su insuffler assez de personnalité à Daniel West, un jeune adulte ne maîtrisant pas toujours ses accès d'énervement, bénéficiant de l'amitié de quelqu'un de sympathique, prompt à passer à l'action (pour secourir Galen tombé du toit), capable de prendre le temps de réfléchir. Le scénariste dévoile rapidement le phénomène surnaturel de Stillwater, et le récit passe alors dans la phase où la petite communauté réagit à l'introduction d'un élément extérieur en la personne de Dan. Il s'agit bien sûr d'un élément perturbateur dans une situation stable, un dispositif narratif basique et efficace. Le lecteur peut également y voir l'injection d'une nouveauté dans une communauté figée dans son fonctionnement depuis des années. Sous cet angle, le récit devient alors un commentaire sur la stagnation et l'immobilisme, revenant dans le registre du conte. Le lecteur peut y voir un regard critique sur la volonté de faire perdurer les choses, de les conserver dans un état identique. Il peut aussi y voir une situation où les différents membres de la communauté bénéficient d'un avantage personnel identique et se liguent pour le conserver à tout prix, l'inscrivant comme objectif premier de la communauté. Le scénariste montre alors les petits désaccords s'accumulent, enflent jusqu'à atteindre une masse critique permettant d'envisager à nouveau un changement.


Les auteurs partent d'un point de départ très classique : deux étrangers dans un patelin qui cache un secret. L'artiste sait bien donner corps à cette petite ville, aux habitants ordinaires, à leur banalité. Le scénariste fait progresser son intrigue à bonne allure pour sortir des clichés rapidement, et pouvoir mettre à profit les spécificités de ce secret dans des situations plus originales, tout en développant son thème principal, celui de la stase.

Presence
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le 5 mars 2022

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